Situé au nord-est de Cracovie, le musée installé dans l’ancien QG de la Gestapo est probablement l’un des plus glaçants de la ville. Il l’a été d’autant plus pour moi, qui l’ai visité sous une pluie battante, dans une atmosphère profondément sinistre…
Je ne savais pas à quoi m’attendre en me dirigeant vers « Ulica Pomorska », le n°2 rue Pomorska. Quel genre de musée peut-on créer dans l’ancien QG de la Gestapo, où l’on emprisonnait et torturait les prisonniers politiques pendant la Seconde Guerre Mondiale ?

Dom Slaski, le bâtiment des années 30 réquisitionné par la Gestapo
Dans les années 1930, Jozef Rybicki et Ludwik Wojtyczko conçoivent à Cracovie un bâtiment qui prend le nom de « Maison Silésienne », ou « Dom Slaski ».
A l’époque, la Pologne est en proie à une dictature et la région de Silésie est particulièrement déchirée : en effet, elle se partage entre une population qui parle le polonais (Haute-Silésie) et une population germanophone (Basse-Silésie).
Il existe un vrai clivage entre ces deux pays de rattachement… et la création de Dom Slaski, entre sa conception en 1931 et sa mise en service en 1937, a justement pour but de développer la cohésion entre la Silésie et la Pologne historique. Elle vise à promouvoir la culture polonaise et à améliorer la formation des jeunes qui vivent en Silésie. Il est donc assez symbolique que le bâtiment ait fini par tomber aux mains des Allemands…
L’édifice est extrêmement polyvalent : il comporte des bureaux, une bibliothèque, des salles de conférence, un cinéma, une cantine, des appartements, des espaces résidentiels pour accueillir des étudiants et des touristes… Sur 5 niveaux, il est organisé en quatre ailes autour d’une petite cour intérieure.
Le 13 septembre 1939, la Gestapo réquisitionne le bâtiment pour y installer son QG, qu’elle occupera jusqu’au 17 janvier 1945. La police secrète de l’État nazi y crée des cellules où sont emprisonnés des prisonniers politiques, que l’on interroge sous la torture au premier étage du bâtiment. Beaucoup ne survivront pas…

Le musée installé dans l’ancien QG de la Gestapo
L’exposition a été baptisée « Le peuple de Cracovie sous la terreur : 1939-1945-1956 ».
A l’extérieur du musée, un mémorial reprend une citation gravée par un prisonnier sur les murs de sa cellule : « Les seuls témoins des larmes versées et de ce qui s’est déroulé ici sont ces quatre murs et le bon Jésus ».

Les prisonniers incarcérés entre ces murs étaient souvent amenés de la prison de Montelupich, lieu de barbarie à part entière et véritable antichambre de la déportation… Beaucoup étaient des résistants, mais il y avait aussi des gens raflés dans les rues ou simplement suspectés de trahison parce qu’ils avaient écouté une radio autre que les radios autorisées.
Ils pressentaient sans doute, peut-être à force de rumeurs murmurées et de craintes étouffées, à quel point le lieu respirait le danger… et la plupart d’entre eux gravaient ou ajoutaient des inscriptions sur les murs des cellules. Ils utilisaient tout ce qu’ils avaient à portée de main pour laisser une trace de leur passage : des crayons parfois, mais aussi du pain sec ou des ongles…
Sur les murs, des mots de désespoir, d’adieu ou de résistance… Des noms, des dates, des souvenirs parfois incompréhensibles pour un tiers… On a dénombré au moins 600 inscriptions encore présentes à ce jour, témoignage des milliers de vies qui ont traversé ce lieu entre 1943 et 1945.
Le couloir qui mène au musée présente des photos de prisonniers des camps de concentration, un rappel de ce qui se déroulait aux portes de Cracovie, à Auschwitz-Birkenau ou encore dans le camp de Plaszow…
Le musée lui-même est assez petit mais réussit l’exploit d’être « bien pensé », alors que le lieu lui-même est atroce. Au sol, une frise chronologique permet de se repérer… On découvre, grâce à des panneaux bilingues (anglais/polonais) les circonstances de la mise en place de la Gestapo à Cracovie et les « activités » que menait la police secrète nazie dans la ville.

Des objets créés par des prisonniers détenus à Montelupich sont présentés, à l’instar de cette nappe décorée par des femmes… ou encore du jeu d’échecs que l’on aperçoit sur la photo et qui est fait avec du pain.

Très vite, le musée met en avant des victimes… notamment grâce à des panneaux : une face raconte l’histoire de la victime, lui donnant un visage et un nom… l’autre face montre son bourreau.

Les témoignages sont bien évidemment bouleversants, à l’instar de cet adieu :
« Montelupich, 1er juillet 1940. Mes très chers, l’heure est venue pour moi de dire au revoir à ce monde. Je serai prochainement fusillé par un peloton d’exécution. Je n’ai pas encore été condamné mais je suis dans la même situation que les 45 personnes qui, avant moi, ont été abattues le 29 juin. Nous serons ainsi 150 à être exécutés, pour la plupart des gens innocents […]. Ma tombe se trouvera probablement au fort de Krzeslawice, près de Mogila […].
Peu importe à quel point ils essaieront de vous convaincre que nous sommes en vie, ne croyez pas ces meurtriers. Nous mourrons, aux côtés de gens de toutes les classes sociales, des fermiers aux ouvriers en passant par les professeurs et les lieutenants, tant des jeunes que des vieux, pour des crimes graves comme pour des broutilles » (Mieczyslaw Filk)
Si toutes les histoires sont dramatiques, il y a néanmoins parmi elles quelques miracles. Ainsi, l’histoire d’un homme, Jan Hajduga, conduit parmi un groupe de résistants au bord de la Vistule. Tous ont dû s’allonger, face contre terre, et ont été tués d’une balle en pleine tête… mais pour cet homme, la balle a ricoché et il a survécu en feignant d’être mort.
Un bureau est reconstitué pour expliquer les techniques d’interrogatoire. Au deuxième et au troisième étage du bâtiment, les officiers de la Gestapo « interrogeaient » les prisonniers. Bien entendu, la méthode variait selon l’officier et parfois, l’entretien commençait sous de faux-airs de politesse et de respect. Rapidement, les interrogatoires dégénéraient et les prisonniers étaient battus jusqu’à l’évanouissement.

Suffocation avec un masque à gaz dont on bouchait les orifices, dents arrachées, bras tordus dans le dos en suspendant les prisonniers à un crochet, les méthodes relevaient de la pure torture. Certains résistants essayaient de lutter : l’un d’entre eux, Edward Heil, avait par exemple creusé l’intérieur d’un livre sur l’armée allemande pour y dissimuler une arme à feu.

On découvre ensuite des portraits de prisonniers déportés dans les camps de concentration et des habits issus du camp de Mauthausen. Une table permet de faire des recherches documentaires en tapant, sur une machine à écrire, le nom d’un proche/d’un ancêtre victime de la barbarie nazie. Je ne sais pas exactement quel « périmètre » couvrent ces archives documentaires : s’agit-il des victimes identifiées passées par les cellules du QG de la Gestapo à Cracovie ? Plus largement, des victimes déportées dans les camps de concentration et d’extermination de la région ?

Le temps défile et nous arrivons à la période qui suit la Seconde Guerre Mondiale. Les Polonais ont alors été invités à répondre, par référendum, à trois questions :
- Souhaitez-vous l’abolition du Sénat ?
- Souhaitez-vous un renforcement du système économique grâce à des réformes de l’agriculture et à une nationalisation des secteurs essentiels de l’économie nationale ?
- Souhaitez-vous un renforcement de la frontière à l’ouest de la Pologne ?
Les Polonais se sont montrés majoritairement favorables à ces idées… qui ont ouvert la voie à l’installation subreptice du régime soviétique. A la clé, d’innombrables déportations de résistants envoyés en Sibérie…

Bien souvent, ils arrivaient sur place avec des effets rudimentaires : chaussures en caoutchouc, gamelle, couteau et soupe lyophilisée, bien insuffisant pour survivre dans des conditions de vie terribles…

Les anciennes cellules du QG de la Gestapo à Cracovie
C’est là que la partie la plus étrange de la visite a débuté. Imaginez que pendant tout ce temps, j’étais seule dans le musée… Ce n’est pas le plus touristique de Cracovie, il est un peu excentré donc ce n’est pas non plus un musée où l’on s’arrête « parce que l’on passe devant par hasard ». En plein mois d’octobre, les lieux étaient assez calmes.
Après avoir parcouru l’exposition, j’ai voulu poursuivre la visite en allant voir les anciennes cellules du QG de la Gestapo… sans vraiment savoir à quoi m’attendre. La dame de l’accueil, qui avait une certaine carrure, ne parlait pas un mot d’anglais ; son collègue lui a adressé un simple signe de tête pour lui indiquer qu’elle devait me conduire vers le sous-sol.
Sans un mot, elle a ramassé un long imperméable sombre, un énorme trousseau de clés… et m’a fait signe de la suivre. Nous sommes sorties dans la petite cour du bâtiment, sous une pluie battante. Elle a déverrouillé une porte dans un terrible grincement. Quelques marches, une grille, à nouveau des grincements de clés… et toujours cette absence absolue d’échanges verbaux, la barrière de la langue et l’atmosphère sinistre ne s’y prêtant que peu.
Elle a allumé un interrupteur fatigué, a ouvert les lourdes portes des cellules avant de tirer un tabouret qui faisait un bruit infernal dans le silence de la prison. Elle s’est assise, la pluie résiduelle ruisselant encore sur son imperméable… et m’a fait signe de visiter à mon rythme.

Le contexte, ajouté à la visite de cette prison où tant de gens ont souffert, ont donné à ce moment une tonalité très particulière. L’air sentait le renfermé et l’humidité, les murs étaient couverts d’inscriptions laissées par ceux qui ont été torturés dans ces murs.

De la souffrance, des appels à Dieu…

Mais aussi une fierté terrible, la fierté des gens qui vont mourir mais qui savent qu’ils partent la tête haute, sans déshonneur, fidèles à leurs valeurs alors que leurs bourreaux les bafouent si profondément.
« Dulce et decorum est pro patria mori », dit un message en latin, une citation d’Horace que l’on peut traduire par « Il est doux et glorieux de mourir pour la patrie ».

Je garde de cette visite une impression très forte, elle complète et enrichit avantageusement une découverte de Cracovie sous un angle historique.
Comment visiter l’ancien QG de la Gestapo rue Pomorska ?
Comptez environ 1h30 pour visiter l’exposition et les cellules. Le musée se situe au 2 rue Pomorska. Lors de ma visite, la documentation était proposée en anglais et en polonais.
Le musée est fermé le lundi, l’entrée est gratuite le mardi et vous pouvez retrouver les autres tarifs et horaires sur le site web. Il existe des billets combinés, que l’on appelle la « Memory Trail », un parcours de la mémoire pour découvrir aussi la pharmacie de l’ancien ghetto et l’usine d’Oskar Schindler.
Vous pouvez acheter votre billet en ligne sur le site que je viens de citer, en cliquant sur « Booking and tickets to MHK online », sur place au musée ou à l’office du tourisme situé dans le centre de Cracovie, au niveau de Sukiennice (la Halle aux Draps).
On peut s’y rendre très facilement, le musée est à 2 minutes à pied de la station de tramway Plac Inwalidów, desservie par de très nombreuses lignes (notamment 4, 13, 14, 20, 24 et 64).
Partagez votre ressenti si vous avez eu l’occasion d’y aller et n’hésitez pas à consulter les liens ci-dessous pour préparer votre voyage à Cracovie.
Hello ! Je suis en congé maternité jusqu'à l'été 2023. Pendant cette période, les commentaires sont fermés.
Pourriez vous me dire à quelle heure ferme ce musée s’il vous plaît.
Mesci bien à vous.
Bonjour, le lien vers les horaires d’ouverture figure dans l’article, à ce jour le musée ferme à 17h30.
La simple lecture et l’atmosphère qui en découle nous renvoie dans ces lieux, que je ne manquerai pas de visiter à mon installation à Cracovie
Merci pour cette découverte
De rien, j’espère que la visite t’apprendra plein de choses.
Bonjour. Savez vous si on y va le mardi jour gratuit si il faut quand même réserver ? Cdt
Bonjour, je ne crois pas qu’il faille un ticket, en tout cas je ne l’ai vu indiqué nulle part !