Le Centre de Documentation de Nuremberg, un musée dans un bâtiment nazi


Aujourd’hui, je vous emmène au Dokumentationszentrum Reichsparteitagsgelände en Allemagne, un centre de documentation sur le nazisme situé à Nuremberg. Défi n°1 : prononcer le nom. Ah, en fait, même les Allemands l’appellent le « Dokuzentrum » (on les comprend). De quoi s’agit-il au juste ? Le Dokuzentrum est un musée de Nuremberg incontournable, consacré à l’histoire du régime nazi et à la place de Nuremberg dans cette histoire. Il a la particularité d’être installé à l’intérieur même d’un bâtiment construit par les nazis…

Contrairement au musée du Palais de Justice de Nuremberg qui s’intéresse au procès des criminels nazis et à l’aspect « légal » des choses, le Dokuzentrum aborde la dimension politique du nazisme mais aussi tout son impact sur la population civile, l’opinion publique, etc. L’exposition permanente du musée s’intitule « Fascination et terreur », deux aspects du régime nazi qui sont mis en relief dans les différentes salles que vous traversez.

Le Kongresshalle, un bâtiment construit par les nazis pour les nazis

Après ma visite du Palais de Justice de Nuremberg, j’ai décidé de poursuivre ma découverte de la ville en me rendant dans ce fameux Centre de Documentation. Il se trouve dans un bâtiment à l’architecture étonnante, qui donne l’impression d’avoir été importé tout droit d’Italie. Ce « Colisée » a été imaginé par deux architectes locaux, Ludwig Ruff et son fils Franz, avec l’appui par la suite de l’architecte d’Hitler, Albert Speer.

Entrée du Dokuzentrum, le Centre de Documentation de Nuremberg
Entrée du Dokuzentrum, le Centre de Documentation de Nuremberg

Un projet ambitieux mais inachevé

La construction du bâtiment – le Kongresshalle – a commencé en 1935. Il est entièrement en briques avec, à l’extérieur, une façade recouverte de blocs de granit « importés de tous les Gaue d’Allemagne » (dixit Speer). Les Gaue étaient l’équivalent des régions sous le régime nazi, ils étaient gérés par un Gauleiter nommé directement par Hitler, qui n’avait de comptes à rendre à personne à part lui : Joseph Goebbels, par exemple, a été Gauleiter de Berlin pendant 16 ans.

Le Kongresshalle de Nuremberg
Le Kongresshalle de Nuremberg

Hitler, avec sa folie des grandeurs, voulait que le Kongresshalle fasse 275 mètres de long, 265 mètres de large et 70 mètres de hauteur. Il devait pouvoir accueillir 50000 personnes… et posséder un toit en verre permettant de profiter de la lumière naturelle. Au moment où la construction a débuté, on n’avait pas la moindre idée de la manière de réaliser ce toit sur le plan technique mais peu importe, on a quand même lancé les travaux !

Au final, le chantier s’est interrompu à l’été 1940, en partie à cause de la Seconde Guerre Mondiale et en partie parce que le problème du toit n’avait pas de solution… et le Kongresshalle est resté « dans son jus ». Si vous parlez allemand, il existe un livre entier dédié à son histoire et à son architecture, créé avec la participation de la ville de Nuremberg, Die Kongresshalle Nürnberg – Architektur und Geschichte.

Le Dokuzentrum, un moyen de redonner un sens à l’endroit

Le Dokumentationszentrum Reichsparteitagsgelände s’est installé dans le Kongresshalle seulement en 2001, il a donc fallu du temps !

Le grand hall d’entrée lumineux, aux plafonds hauts, vous permet d’acheter votre billet et de récupérer un audioguide pour la traduction (il y a aussi des toilettes, des casiers et une cafétéria). Ce hall ne laisse pas du tout deviner ce qui vous attend et l’atmosphère dans laquelle vous allez plonger… La taille des poutres métalliques de la structure laisse deviner la dimension impressionnante du bâtiment.

L'architecture du hall d'entrée du Dokumentationszentrum Reichsparteitagsgelände
L’architecture du hall d’entrée du Dokumentationszentrum Reichsparteitagsgelände

Soudain, vous pénétrez dans une ambiance bien plus sombre, qui s’accorde vraiment bien avec la thématique du musée. Pendant toute la visite, vous allez traverser des salles où il n’y a pas ou presque pas de lumière naturelle, où les éclairages soignés valorisent aussi bien les documents présentés que l’architecture elle-même, avec ses briques brutes…

J’ai trouvé cette scénographie magnifique, non seulement par sa capacité à mettre en valeur la construction mais aussi par sa puissance symbolique, qui nous plonge dans la pénombre jusqu’à la fin, où la lumière revient peu à peu.

L'architecture du Kongresshalle mise en valeur autant que l'exposition du musée
L’architecture du Kongresshalle mise en valeur autant que l’exposition du musée

Comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus, c’est un musée qui donne beaucoup de place à l’image : nombreuses photos, affiches, dessins et vidéos, avec de grands panneaux muraux qui mettent en valeur les visuels, des coins où l’on peut s’asseoir pour prendre le temps de regarder des vidéos… A l’inverse, vous y verrez peu d’objets d’époque. L’approche consiste surtout à expliquer cette période de l’histoire avec beaucoup de pédagogie.

De salle en salle, vous allez découvrir le nazisme sous différents angles : la propagande, la montée de l’antisémitisme et, plus largement, d’une quête de la « race aryenne » pure et parfaite, la place de Nuremberg dans l’activité du régime, le rôle des pays voisins…

Une salle du Centre de Documentation de Nuremberg
Une salle du Centre de Documentation de Nuremberg

Ici par exemple, un journal français daté du 4 septembre 1933, « L’Écho de Paris », évoque la « formidable mobilisation hitlérienne de Nuremberg ».

Le journal L'Écho de Paris évoque le premier congrès nazi de Nuremberg
Le journal L’Écho de Paris évoque le premier congrès nazi de Nuremberg

Impossible de tout raconter tellement le Dokumentationszentrum Reichsparteitagsgelände est riche en informations. Le site web parlait de « deux heures de visite ». En réalité, il faut beaucoup plus que ça, en particulier si vous écoutez l’audioguide ! Selon votre intérêt pour le sujet, vous pourrez facilement y passer entre 3 et 5h si vous ne voulez pas le faire au pas de course.

5 choses marquantes dans ce musée de Nuremberg

Au Dokuzentrum, vous verrez beaucoup de choses, depuis un exemplaire de Mein Kampf jusqu’au verdict des jurés du procès de Nuremberg… et certaines vous resteront en mémoire plus longtemps que d’autres. Au-delà des vidéos de Nuremberg qui permettent de comparer les années 30-40 à notre époque, il y a quelques éléments qui m’ont vraiment marquée.

Les débuts du régime

Au Dokumentationszentrum Reichsparteitagsgelände, j’ai d’abord été marquée par les images datant d’avant la guerre, à l’époque où Hitler apparaissait comme un « homme providentiel » capable de relever le pays qui traversait une profonde crise économique. Une image savamment orchestrée pour « starifier » la figure d’Hitler, ce qui incluait la fabrication de merchandising à son effigie, comme ces bustes…

Atelier de fabrication de bustes d'Hitler
Atelier de fabrication de bustes d’Hitler

Pendant toute ma visite du Dokuzentrum et bien après, j’ai eu dans la tête une phrase de Martin Luther King : « N’oubliez jamais que tout ce que Hitler a fait en Allemagne était légal ». Le Centre de Documentation de Nuremberg vous aide à comprendre cet étrange mélange entre une figure « glorifiée » avec un optimisme déconcertant et un régime qui, insidieusement, a assis peu à peu son emprise sur un pays entier, en créant ses propres lois.

Un film « interdit »

La deuxième chose qui m’a marquée est la projection d’une partie du film de propagande Le Triomphe de la Volonté de Leni Riefenstahl. Il a en grande partie été tourné à Nuremberg, lors du congrès nazi de 1934… et ça fait partie des documents « tabous » du régime, comme peut l’être Mein Kampf dans son genre. Dire qu’on a lu Mein Kampf ou qu’on a vu Le Triomphe de la Volonté… eh bien, ça ne se dit pas, en fait.

Les choses évoluent car plus les années passent, plus on comprend qu’il peut aussi y avoir un intérêt historique à prendre connaissance de ce genre de document. J’ai d’ailleurs été très surprise d’apprendre que Le Triomphe de la Volonté était sorti en DVD, avec 3 autres films de propagande nazie (tout à fait légalement, je vous rassure), justement dans ce but historique.

Voir ces images dans le contexte d’un musée permet de prendre du recul, de les faire sortir de leur finalité « glorificatrice » du nazisme.

Un dessin d’enfant

Le troisième élément marquant à mes yeux a été un dessin. Oui, un simple dessin. Au début du parcours dans le Dokuzentrum, j’étais tombée sur une boîte de petits soldats nazis destinée aux enfants allemands mais ça ne m’avait pas plus marquée que ça. Il était finalement « logique » que la propagande nazie s’étende aussi à la jeune génération… Après tout, il existait à l’époque en Allemagne les « Jeunesses hitlériennes », où l’on embrigadait les enfants à partir de 6 ans.

Mais en fait, je crois que je n’avais pas réalisé l’impact de ce discours sur les enfants avant de voir ce dessin. Celui d’un gosse, en première année d’école élémentaire, qui dessine maladroitement des personnages avec une barbe et un grand chapeau, avec la légende « Les Juifs sont notre malchance/malheur ».

Dessin d'enfant antisémite au Centre de Documentation de Nuremberg
Dessin d’enfant antisémite au Centre de Documentation de Nuremberg

C’est marquant… et ça l’est encore plus quand on réalise que toute une génération d’enfants, dans les années 30-40, a grandi en entendant ce discours. Beaucoup sont encore vivants, j’ai d’ailleurs terminé récemment un très beau livre sur ces enfants de la guerre.

Ça m’a rappelé une anecdote racontée par une amie allemande : elle m’a dit que son grand-père, pas nazi pour un sou, grommelait pourtant parfois au milieu d’une râlerie que « c’était grâce à Hitler qu’ils avaient eu des autoroutes ». Si Hitler n’a pas inventé l’autoroute comme on peut parfois le lire, il a effectivement fait beaucoup de croquis et lancé des chantiers pour créer un réseau autoroutier en Allemagne, en réfléchissant aussi au risque de ce type de route sur la vigilance du conducteur, moins attentif en raison de la monotonie du trajet.

Ce genre d’anecdote rappelle que pour cette génération ayant grandi sous le nazisme, il y a finalement un regard beaucoup plus complexe que de se dire simplement « c’était une période atroce de l’histoire ».

Un couloir poignant

Quand la visite du musée touche à sa fin, on arrive soudain dans un couloir qui descend en pente douce vers une nouvelle salle. De part et d’autre, en contrebas, de grandes photos ont été reproduites et montrent les scènes d’horreur de la libération des camps (avec une image de Bergen-Belsen) et de la fin de la guerre, dans un pays dévasté qui va devoir compter ses morts.

Pendant ce temps, on entend des bruits de bombardement au loin. C’est très poignant. Encore une fois, on peut évoquer la symbolique de ce chemin qui descend encore plus bas, nous emmenant dans les tréfonds de ce que le régime nazi a produit de pire.

Musée du nazisme à Nuremberg : un couloir qui vous plonge dans l'horreur de la guerre
Musée du nazisme à Nuremberg : un couloir qui vous plonge dans l’horreur de la guerre

Et puis, les si nombreuses victimes

A la fin de la visite, un long couloir vous ramène vers l’entrée du musée et soudain, sur votre gauche, vous tombez sur une voie ferrée reconstituée. Les destinations, indiquées sur le mur, sont tristement connues. Auschwitz, Sobibor ou encore Treblinka…

Cette voie ferrée ne repose pas sur des cailloux mais sur des petites cartes. Chacune porte le nom d’une victime de l’Holocauste.

Hommage aux victimes de l'Holocauste
Hommage aux victimes de l’Holocauste

L’extérieur du Kongresshalle

Peu avant la fin de la visite du Dokumentationszentrum Reichsparteitagsgelände, vous débouchez sur une étroite passerelle qui s’avance au-dessus du vide, pour vous permettre de contempler d’en-haut la taille impressionnante du Kongresshalle.

La passerelle du Kongresshalle, photographiée depuis le bas du bâtiment
La passerelle du Kongresshalle, photographiée depuis le bas du bâtiment

Même avec mon objectif grand angle, je n’arrivais pas à le capturer dans son intégralité… et une photo panoramique ne rend même pas compte de la taille du bâtiment.

Une vue panoramique du Kongresshalle
Une vue panoramique du Kongresshalle

Voici ce à quoi devait ressembler le bâtiment terminé :

Le Kongresshalle imaginé par les nazis
Le Kongresshalle imaginé par les nazis

Et voici ce qu’il est aujourd’hui :

A l'intérieur du Kongresshalle actuel
A l’intérieur du Kongresshalle actuel
A l'intérieur du Kongresshalle actuel
A l’intérieur du Kongresshalle actuel
A l'intérieur du Kongresshalle actuel
A l’intérieur du Kongresshalle actuel

C’est littéralement gigantesque et mes photos peinent à refléter la taille réelle du bâtiment, qui est impressionnante. On est frappé par ses dimensions, bien sûr, mais aussi par cette impression d’abandon qui s’en dégage.

Petit conseil : en sortant du Centre de Documentation, prenez la route qui longe le lac artificiel (à gauche quand on est face à l’entrée du Dokuzentrum). On peut entrer à pied à l’intérieur du bâtiment et visiblement, il n’y a pas grand-monde qui l’a compris car j’étais toute seule à faire des photos là-bas :) L’endroit accueille aujourd’hui un parking.

Les dimensions impressionnantes du Kongresshalle
Les dimensions impressionnantes du Kongresshalle
Les dimensions impressionnantes du Kongresshalle
Les dimensions impressionnantes du Kongresshalle

Même les rares tags présents ici font référence au passé du Kongresshalle : sur l’un de ces personnages au bras tendu, quelqu’un a dessiné une croix gammée. A côté, deux personnages portent l’étoile de David.

Tags sur le nazisme au Kongresshalle
Tags sur le nazisme au Kongresshalle

Ce bâtiment reflète à lui seul tout le dilemme de Nuremberg aujourd’hui, dont je vous parlais dans un autre article : préserver ou détruire ces vestiges encombrants ?

Depuis la guerre, le Kongresshalle cherche sa place. Il a servi d’espace de stockage, une multitude d’architectes ont essayé de proposer des projets de réhabilitation : stade de foot, centre de loisirs géant avec hôtel de luxe, galeries marchandes, boîte de nuit et piste d’athlétisme, sans oublier une maison de retraite, une clinique, des appartements grand luxe avec piscine sur le toit…

La ville de Nuremberg s’est opposée à ces projets, craignant que ça freine le développement économique local. Car c’est un peu le paradoxe : Nuremberg est une ville superbe… mais c’est aussi une ville peu touristique, dont le principal vecteur de notoriété est ce passé encombrant.

L’installation du Dokuzentrum dans le « Colisée » en 2001 et la présence de l’orchestre symphonique local dans une autre aile du bâtiment permettent de lui redonner une fonction… mais réalistement, une large partie du Kongresshalle reste inexploitée.

Informations pratiques pour visiter le Dokuzentrum

J’espère, à travers cette visite peu commune, vous avoir montré l’essence de ce bâtiment pas comme les autres.

On y accède très facilement depuis le centre-ville de Nuremberg par le tramway, lignes 6 et 8, station « Dokuzentrum ». C’est le terminus donc pas de risque de se perdre !

Vous pouvez retrouver les heures d’ouverture du centre de documentation de Nuremberg en ligne, et le prix des billets ici. L’entrée est vraiment donnée pour une visite de cette durée. En plus, comme dans tous les musées municipaux de Nuremberg, si vous ajoutez quelques euros de plus, vous pouvez ensuite accéder le même jour à tous les autres musées gratuitement. Dans mon cas, j’avais déjà payé ce supplément en visitant le musée du Palais de Justice, j’ai donc pu entrer gratuitement au Dokuzentrum.

Si vous êtes curieux d’en savoir plus sur Nuremberg, je vous invite à lire mon guide sur la ville. Vous pouvez aussi poursuivre l’exploration du passé dérangeant de la ville à travers la visite du Reichsparteitagsgelände, immense zone abritant des vestiges des bâtiments nazis de l’époque


Hello ! Je suis en congé maternité jusqu'à l'été 2023. Pendant cette période, les commentaires sont fermés.


2 commentaires sur “Le Centre de Documentation de Nuremberg, un musée dans un bâtiment nazi
  • leo

    Et toi ? Penses-tu qu’on devrait préserver ces bâtiments ou les détruire ?
    bon article :)

    • Marlène

      Merci ;) Je me range du côté de ceux qui pensent qu’ils doivent être préservés. D’abord, l’architecture elle-même est insolite et intéressante. Ensuite, c’est un témoignage assez unique de la folie des grandeurs du régime, un témoignage bien plus concret que pourrait l’être n’importe quel livre car il se lit sur le terrain, sous nos yeux. C’est une sorte d’explication de texte réelle de la manière dont les nazis envisageaient la « ville allemande parfaite » et à ce titre, je trouve ça intéressant de conserver les monuments.

      Et puis, quoi qu’on en dise, pour nos générations, Nuremberg reste une ville associée au nazisme. Le procès de Nuremberg, les lois de Nuremberg, difficile d’oublier cet aspect, impossible (et pas souhaitable) de faire comme si ça n’avait pas existé. Les gens qui vont là-bas le savent… donc autant assumer le passé de la ville et accompagner les gens dans leur découverte en développant l’affichage, les parcours guidés, histoire de contextualiser les choses.



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