Visite du Jeanie Johnston à Dublin, bateau de la Grande Famine en Irlande


En visitant Dublin, vous croiserez peut-être la route du Jeanie Johnston, un grand voilier amarré au bord de la rivière Liffey… C’est la réplique exacte d’un bateau qui a sauvé des centaines d’Irlandais en les aidant à émigrer, à l’époque où le pays était frappé par une famine sans précédent.

On peut aujourd’hui visiter le Jeanie Johnston… et découvrir une foule d’anecdotes sur ces « traversées de la dernière chance » et sur les passagers du voilier. J’ai adoré ce « bateau-musée » alors je vous propose de découvrir dans cet article ce qui s’y passe et comment aller le visiter à votre tour !

Le Jeanie Johnston - Custom House Quay à Dublin
Le Jeanie Johnston – Custom House Quay à Dublin

Le Jeanie Johnston Tall Ship à Dublin, un voilier pas comme les autres

Le Jeanie Johnston est un (fameux) trois-mâts de 47 mètres de long et 8 mètres de large qui n’était pas voué à entrer dans l’histoire. A sa construction en 1847, il s’agissait d’un simple voilier de transport de marchandises, qui effectuait des liaisons transatlantiques entre l’Amérique du Nord et la ville de Tralee (au sud-ouest de l’Irlande).

Tout change au milieu du 19e siècle… avec le début de la Grande Famine d’Irlande.

La Grande Famine en Irlande

Une maladie, le mildiou, commence à attaquer toutes les récoltes de pommes de terre, les faisant pourrir avant même qu’elles ne sortent de terre. Cette épidémie de mildiou se double de conditions climatiques particulièrement difficiles pour la population.

Or, à l’époque, on vit largement de l’agriculture et la pomme de terre fait partie des aliments de base des paysans. L’adoption de ce légume a été largement encouragée par la famille royale et par les propriétaires terriens dès le 17e siècle, au point qu’au 19e siècle, c’était une composante essentielle de l’alimentation, en particulier pendant la saison hivernale.

Alors quand le mildiou se répand, on parle d’une époque où les plus pauvres, en Irlande, consomment presque exclusivement des pommes de terre. Lorsqu’ils cultivent autre chose, ils doivent le donner au propriétaire de la terre qu’ils occupent. Rapidement, le peuple a donc faim… mais malgré la famine qui se fait de plus en plus présente, le gouvernement local continue à exporter les ressources alimentaires du pays à l’étranger, une décision que les Irlandais leur reprocheront longtemps.

Les récoltes pourrissent… et les fermiers se font chasser de leurs terres par les propriétaires. La misère est telle que les paysans se retrouvent face à plusieurs options.

Les bateaux d'émigration, un moyen de survivre à la famine
Les bateaux d’émigration, un moyen de survivre à la famine

Survivre à la Grande Famine irlandaise

Les Irlandais en grande difficulté peuvent d’abord décider de se tourner vers une « workhouse », un hospice de pauvres. Le principe ? Travailler dur… en échange du gîte et du couvert, qu’il faut mériter. Dans ces workhouses, les familles sont séparées, le taux de mortalité dramatiquement élevé… et les gens doivent effectuer des tâches ingrates qui, bien souvent, n’ont aucun but réel à part celui de les faire travailler.

On leur fait par exemple construire des murets en pierre dans les champs, qui ne délimitent rien du tout mais leur occupent les mains. On en voit encore beaucoup en Irlande.

La deuxième option pour échapper à la Famine consiste à commettre un crime. Étonnant, mais la gravité de la situation est telle que la délinquance apparaît parfois comme l’unique option pour rester en vie. Beaucoup de gens choisissent donc de commettre un petit larcin, avec l’espoir d’être envoyés en prison ou dans les colonies pénitentiaires de l’Irlande, situées en Australie. Car dans ces lieux, on mange tous les jours.

C’est ainsi que certains Irlandais se retrouvent à embarquer pour l’Australie afin de purger des peines de quelques années. Bien sûr, le taux de mortalité est énorme, certains meurent lors de la traversée, d’autres meurent de la dureté du travail à accomplir… mais si l’on survit, au bout de quelques années, on a « payé sa dette à la société » et l’on peut alors espérer se construire une vie meilleure. C’est souvent cet épisode de l’histoire qui explique que certains patronymes typiquement irlandais se rencontrent en Australie.

Il reste une dernière option pour fuir la Grande Famine d’Irlande : émigrer. Cela devient d’ailleurs un business lucratif pour certains : on affrète des bateaux, parfois en très mauvais état, et l’on fait payer très cher le prix du billet. Beaucoup d’Irlandais partent alors sur ces bateaux… et si je vous dis qu’on les surnomme les « coffin ships » (bateaux-cercueils), ça vous donne une idée des conditions à bord.

Le taux de mortalité est dramatique et beaucoup de gens décèdent avant même de voir arriver les côtes des États-Unis ou du Canada. Les conditions d’hygiène en sont souvent la cause car les maladies se propagent vite dans l’environnement confiné de ces bateaux.

Dans la cale du Jeanie Johnston
Dans la cale du Jeanie Johnston

A leur arrivée en Amérique, les migrants doivent décliner leur identité… et bien souvent, ils ne parlent pas anglais, seulement gaélique… alors on écrit leur nom phonétiquement. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui, on retrouve parfois aux USA et au Canada des noms à consonance irlandaise, qui s’écrivent différemment de l’orthographe d’Irlande. Si les émigrés sont bien accueillis au Canada, c’est plus compliqué à New York où ils doivent souvent chercher à gommer leur identité irlandaise.

Le Jeanie Johnston et la Grande Famine

C’est au milieu de cet épisode de l’histoire que le voilier Jeanie Johnston fait son entrée… A partir de 1848, le bateau abandonne son rôle strict de transport de marchandises pour un rôle mixte : il part du comté de Kerry, à l’Ouest de l’Irlande, avec des passagers désireux d’émigrer… et après les avoir déposés dans différentes régions d’Amérique (Québec, Baltimore et New York), repart vers l’Irlande avec des cargaisons de bois.

Mais, à la différence de tous les « coffin ships », le Jeanie Johnston décide d’innover : on place à sa tête un capitaine expérimenté – James Attridge – et un médecin – Richard Blennerhassett – est présent à bord… ce qui est totalement inédit ! Par ailleurs, les passagers ne peuvent embarquer que s’ils sont en bonne santé afin d’éviter la propagation d’épidémies. Enfin, on met en place quelques règles d’hygiène à bord, qui paraissent très simple mais n’étaient pas appliquées sur d’autres bateaux à l’époque.

Ainsi, les passagers doivent secouer les couvertures au grand air une fois par jour afin d’éviter la prolifération des poux et du typhus, vider chaque pot de chambre après utilisation afin qu’il ne se renverse pas à cause de la houle (une mesure qui vise à lutter contre la propagation du choléra).

Grâce à ces mesures, le Jeanie Johnston a réussi l’exploit de ne voir PERSONNE mourir à bord de toute l’histoire du voilier ! Le bateau a fait 16 voyages transatlantiques pour transporter des émigrés, entre 1848 et 1855.

Scène de vie sur le bateau - Dublin
Scène de vie sur le bateau – Dublin

La vie à bord du Jeanie Johnston

Lors de la visite guidée du Jeanie Johnston, on a l’opportunité de découvrir le pont du bateau, puis l’on descend dans la cale, qui est présentée dans sa configuration « transport de passagers ». Lorsque le bateau avait déposé les émigrants à leur destination finale après une moyenne de 47 jours de navigation, il changeait de configuration pour le transport de marchandises, avant de repartir vers l’Irlande.

Normalement, un voilier comme celui-ci peut accueillir 40 passagers – dont le personnel de navigation. Le Jeanie Johnston en a transporté jusqu’à 254 au cours d’une même traversée. C’était en avril 1852, entre Tralee et Québec. Pensez à ce chiffre quand vous vous tiendrez au milieu de la minuscule cale… Le fait que tout le monde ait survécu est tout bonnement un miracle !

Notre guide nous a parlé de la vie à bord, mais aussi de quelques passagers célèbres du bateau dont on a pu retrouver la trace.

Le capitaine et le médecin

James Attridge a été capitaine du voilier pendant toute la période de la Grande Famine. Originaire de Cork, il est devenu marin à l’âge de 15 ans en 1820, puis capitaine à l’âge de 23 ans. Il avait 28 ans d’expérience quand il a pris le gouvernail du Jeanie Johnston. En 1862, il a cessé de naviguer et est devenu capitaine de port dans le comté de Cork.

James Attridge, capitaine du Jeanie Johnston
James Attridge, capitaine du Jeanie Johnston

Quant au médecin, le Dr Richard Blennerhassett, il avait délibérément choisi de se consacrer aux bateaux d’émigration alors que son influence et son talent lui auraient permis de trouver une place mieux rémunérée et moins risquée ailleurs. Grâce à sa vigilance, personne n’est mort à bord du voilier et il arrivait régulièrement que les candidats à l’émigration demandent s’il était présent à bord, se sentant rassurés de monter à bord d’un bateau où il était là. Assez tragiquement, il a fini par attraper le choléra à bord d’un autre bateau et est décédé en 1854.

Le médecin du Jeanie Johnston
Le médecin du Jeanie Johnston

Patrick Kearney

C’est l’un des nombreux émigrés irlandais qui ont su trouver leur place dans la société américaine. Arrivé à Baltimore à l’âge de 23 ans en 1849, il a rapidement trouvé du travail comme fermier, avant de posséder sa propre exploitation et de donner naissance à 5 enfants sur le sol américain.

Patrick Kearney, parmi les émigrés ayant fui la Grande Famine d'Irlande
Patrick Kearney, parmi les émigrés ayant fui la Grande Famine d’Irlande

Les familles

Sur le Jeanie Johnston, beaucoup de passagers venaient seuls, y compris des enfants qui étaient orphelins. Il fallait alors partager sa « couchette » avec 3 inconnus. Le ticket coûtait très cher pour l’époque (4 pounds), alors très souvent, les familles envoyaient leur membre le plus solide, celui qui avait le plus de chances de survivre. Une fois arrivé à destination, il trouvait du travail, envoyait de l’argent à sa famille… et dès que c’était possible, une seconde personne partait le rejoindre.

Les journaux permettaient de passer des petites annonces pour retrouver ses proches à l’étranger.

Les enfants à bord du voilier
Les enfants à bord du voilier

Mais parfois, on voyageait aussi en famille… à l’instar des Stack. Le père, James, était un fermier influent vivant au nord de Tralee mais quand la famine a frappé, il a tout perdu et s’est retrouvé à vivre dans une cabane en terre. Nicholas Donovan, le copropriétaire du bateau, l’a aidé à embarquer à bord du Jeanie Johnston avec toute sa famille.

Margaret Reilly était quant à elle enceinte quand elle est montée à bord du Jeanie Johnston avec son mari Daniel en 1848. Tellement enceinte qu’elle a accouché d’un petit garçon avant même que le bateau n’ait le temps de mettre les voiles. Les heureux parents ont décidé de donner à l’enfant le nom de tous les matelots du bateau et de ses propriétaires et capitaine. Il a donc un prénom composé de 17 prénoms + le nom du bateau + son nom de famille ! Au quotidien, il utilisait simplement « Nicholas Johnston Reilly ».

Margaret Reilly - Jeanie Johnston Tall Ship
Margaret Reilly – Jeanie Johnston Tall Ship

La fin du Jeanie Johnston et l’histoire du musée

Jusqu’au bout, le Jeanie Johnston a été porté par sa bonne étoile… Après la fin de la famine, il a repris son activité de transport de marchandises, vendu à l’Anglais William Johnson en 1855… jusqu’à son dernier voyage, en 1858, où il a été pris dans un terrible orage alors qu’il naviguait entre Hull (dans le Yorkshire, en Angleterre) et Québec.

Il n’y avait plus de vivres à bord, plus d’eau potable et surtout, la cale se remplissait à vue d’œil : le voilier était voué à couler. Les 15 occupants du bateau ont fini par se réfugier sur un mât (là encore, pensez-y quand vous verrez les mâts étroits !). Ils y ont fabriqué, grâce aux voiles, une tente de fortune et un réceptacle pour recueillir l’eau de pluie.

Plusieurs bateaux sont passés sans les voir… car le Jeanie Johnston était en train de sombrer, n’émergeant plus que très peu de l’eau. Ils ont fini par être secourus miraculeusement par le navire néerlandais « Sophie Elizabeth », après 9 jours de dérive, alors qu’il n’y avait plus que le mât qui dépassait.

Ainsi, jusqu’au bout, aucune vie n’a été perdue à bord du voilier. C’est presque comme s’il avait disparu de lui-même après avoir rempli sa mission : sauver des centaines de vies.

Les mâts du Jeanie Johnston
Les mâts du Jeanie Johnston

Il faut atteindre la fin des années 1980 pour que l’on envisage de créer une réplique du bateau… et les années 90 pour qu’elle voie le jour, avec l’aide d’un ancien architecte en chef de la marine anglaise, Fred Walker. On crée une équipe réunissant notamment des Irlandais, des Américains, des Canadiens… pour la plupart des jeunes qui se forment grâce à ce projet à la construction navale sous la supervision de professionnels expérimentés.

En l’an 2000, le Jeanie Johnston Tall Ship est achevé. Il réalise en 2003 un important voyage entre Tralee en Irlande et l’Amérique, s’arrêtant dans 32 villes du Canada et des Etats-Unis.

Ce n’est qu’après 2010 que le bateau a été converti en musée. Un musée que l’on dit assez peu rentable, car les frais d’entretien du bateau sont élevés et n’étaient pas couverts par les ventes de billets il y a encore quelques années.

La réplique du Jeanie Johnston est visitée aussi bien par des touristes que par des classes en voyage scolaire (le guide m’a d’ailleurs raconté qu’il avait eu une classe de jeunes français le matin même de ma visite)… et les nombreuses anecdotes rendent l’expérience assez ludique et captivante !

Visiter le Jeanie Johnston à Dublin

A l’heure où j’écris, on peut visiter le Jeanie Johnston par le biais d’une visite guidée en anglais. Le bateau est amarré au niveau du Custom House Quay à Dublin, non loin du musée de l’émigration EPIC.

Vous pouvez retrouver les horaires et tarifs sur le site du voilier, et réserver vos billets à l’avance.

La visite guidée dure environ 50 minutes et peut être combinée avec celle du musée EPIC qui s’inscrit dans la même thématique.

Le café Herbstreet, à 10 minutes à pied du bateau, est une bonne adresse pour une pause gourmande avant ou après la visite.

J’espère en tout cas que vous apprécierez cet endroit, que ce soit via l’article ou en y allant « en personne » ! Pour ma part, c’est probablement ce lieu qui m’a le mieux permis de prendre conscience de la réalité de cette Grande Famine d’Irlande.


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