Aujourd’hui, je vous emmène sur l’île de La Gomera dans l’océan Atlantique, pour une randonnée vers l’un des sommets les plus reconnaissables de la région : La Fortaleza de Chipude, terme espagnol qui signifie « La Forteresse ».
La Fortaleza culmine à environ 1243 mètres d’altitude et a la particularité d’avoir un sommet presque plat, au point qu’on la surnomme parfois la « montagne dessus-de-table ». Un surnom que l’on comprend facilement quand on voit sa silhouette de 300 mètres de large se dessiner à l’horizon.
Elle offre un panorama d’exception sur La Gomera mais a aussi été un site rituel majeur pour les anciens habitants de l’île.

Une randonnée à La Gomera entre nature et traditions
Ce jour-là, une certaine chaleur plane sur La Gomera, avec près de 30°C. La veille, un vent chaud arrivé d’Afrique, portant le sable du désert, a déposé sur l’île un petit voile… Le calima, comme on l’appelle, est fréquent ici et lors de son passage, il laisse souvent durant quelques jours une atmosphère brouillée où terre, océan et ciel se confondent.
Nous avons pris la route vers le centre de l’île, inhabituellement encombré ! Il y a une bonne raison à cela : les habitants célèbrent la Bajada de la Virgen de El Paso, l’une des nombreuses processions dédiées à la Vierge qui animent l’île… et une fête estivale majeure.
Chaque année, en septembre, la Vierge nichée dans l’Ermita de Nuestra Señora del Buen Paso part en promenade… et quitte sa paisible campagne au rythme des tambours et des danses pour rejoindre l’église d’El Salvador, à Alajero. Elle y est accueillie par un grand bal populaire et par de nombreuses animations qui se poursuivent le lendemain.
Notre randonnée a justement débuté non loin de là, au niveau de la Calle Arguayoda. Le paysage ici est dépourvu d’arbres mais l’on distingue la trace d’anciennes cultures en terrasse. Il y avait autrefois du maïs, exploité par les habitants des petits villages voisins.

Désormais, on peut croiser des artichauts sauvages, habituellement comestibles. A cette période de l’année, ils ont déjà pris un bon coup de soleil !

Les routes sont bordées de mûriers gigantesques et d’aloé vera, plante aux multiples vertus très cultivée dans les Canaries et qui pousse aussi à l’état sauvage. Elle est utilisée contre les coups de soleil et les blessures afin d’améliorer la cicatrisation.

On aperçoit au loin sur notre gauche un élevage de chèvres. Le fromage de chèvre est l’une des spécialités de La Gomera, on s’en sert pour fabriquer l’almogrote que je vous conseille de goûter si vous allez sur place (mieux vaut le déguster « maison » dans un restaurant local que prendre des pots tout prêts vendus dans le commerce, ça n’a pas du tout le même goût !).
C’est un mélange de fromage de chèvre, de tomates bien mûres, avec un peu d’ail, une touche de piment ou de poivron rouge et un peu d’huile d’olive vierge. On déguste l’almogrote sur du pain, à l’apéro !
Mais nous ne sommes pas là pour manger… car La Fortaleza se profile à l’horizon et sa silhouette imposante me fait dire qu’il est préférable de rester léger pour arriver jusqu’en haut ! Mais c’est la magie de la randonnée : un pied devant l’autre… et ce qui paraît inatteignable au départ le devient bizarrement au fil de la progression !

Nous arrivons à l’Ermita de San Lorenzo, une petite chapelle comme il en existe beaucoup sur l’île. Sur un côté, on découvre un arbre aux fines feuilles que l’on appelle un « faux poivrier ». Quand on les frotte entre ses doigts, se dégage une odeur poivrée. Sur la gauche de la chapelle, nous nous engageons sur un chemin rocheux.
Tout en bas, dans la vallée, on distingue contre les parois de la montagne de gros tuyaux : ils servent à acheminer l’eau depuis le versant nord de La Gomera, plus humide, vers le versant sud, plus aride. Dans ces terres qui parfois ne voient pas la pluie pendant de longues semaines, les plantes se sont adaptées : il y a des espèces que l’on peut cueillir et « mâchouiller » pour s’hydrater en cas de besoin, ce que faisaient les bergers quand ils manquaient d’eau, comme cette plante par exemple.

Nous suivons un très beau chemin de randonnée tapissé d’aiguilles de pin, qui offre une vue magique sur La Fortaleza et, en contrebas, sur le « Barranco de Erque ».
Il se dégage une odeur incroyable, qui me rappelle celle d’un sauna : un mélange entre l’odeur de résine des pins et celle des pierres séchées par le soleil. On croise assez peu de randonneurs mais de temps à autre, on entend des chèvres bêler au loin dans la montagne.
En 2012, La Gomera a été victime de terribles incendies, dans un contexte de fortes chaleurs avec un taux d’humidité très faible. Ils ont ravagé plusieurs milliers d’hectares dans le parc national du Garajonay et vous croiserez sûrement sur votre route des vestiges de ce drame qui a marqué toute l’île. Cependant, la nature a aussi repris ses droits, offrant de très beaux paysages…

Notre joli chemin de randonnée, où nous avons choisi de déjeuner sous les pins face à La Fortaleza, finit par déboucher sur une route, où un taxi malin a accroché son numéro de téléphone sur une pancarte, bien visible quand on sort du chemin. Marketing astucieux pour randonneurs fatigués !
Mais pas question pour nous de nous arrêter en si bon chemin. Nous suivons la route sur la gauche et notre progression finit par nous conduire au pied de La Fortaleza de Chipude.

La Fortaleza de Chipude, une montagne bénie des Dieux
C’est une montagne sacrée, où les premiers Gomeros allaient faire des sacrifices aux Dieux, persuadés que la proximité avec le ciel leur donnait plus de valeur.
La Fortaleza possède un seul accès, qui peut aisément être bloqué aux visiteurs. Ce passage étroit et abrupt se situe non loin du petit village de Pavon. Il y a là quelques ruines de bâtiments en pierre, dont une ruine circulaire qui émerge à peine des herbes folles et correspond à un réservoir où les habitants stockaient autrefois le maïs.
Le chemin laisse vite place à un escalier grossier, taillé dans la roche. Nous décidons de cacher nos bâtons de randonnée dans un renfoncement car ils nous gênent plus qu’autre chose pour l’ascension elle-même ! Nous les récupérerons en redescendant.
La vue est vraiment superbe. On distingue 3 villages : Chipude, El Cercado (célèbre village de potiers de La Gomera où les poteries sont fabriquées de manière traditionnelle, sans tour de potier) et Las Hayas.
Ici, un terrain de sport près de Chipude :

Le chemin exige de bonnes jambes mais n’est pas « difficile » en soi. On nous avait fait quelques frayeurs en nous parlant d’un passage où il fallait marcher avec le vide d’un côté mais en réalité, ça doit représenter 3 pas et il y a une paroi rocheuse pour s’appuyer… alors qu’on nous avait donné l’impression qu’il fallait marcher sur une poutre avec quelques centaines de mètres de vide sous les pieds !
Rien de si effrayant… même s’il faut rappeler que la prudence s’impose en randonnée ! Il y a régulièrement des accidents à La Gomera, que ce soit de mauvaises chutes ou des chevilles foulées… et je vous conseille vivement, pour ces randonnées un peu plus exigeantes que d’autres, d’avoir des chaussures qui vous maintiennent bien la cheville !
Mais alors, que trouve-t-on donc au sommet de La Fortaleza ? On y trouve une croix… mais aussi de nombreux vestiges archéologiques préhispaniques, qui correspondent selon les historiens à des autels sacrificiels, utilisés lors de rituels.

A priori, dans les temps reculés où ils étaient utilisés, on effectuait des sacrifices pour s’attirer les faveurs des Dieux, notamment quand il y avait des épidémies ou que l’on cherchait à se protéger d’une météo défavorable pour les cultures, dont l’île de La Gomera dépendait fortement.
25 autels sacrificiels ont ainsi été trouvés au sommet, que les archéologues ont divisés en deux catégories :
- Des bûchers simples – Ils mesurent environ 1,5 mètre de diamètre, sont de forme circulaire et possédaient une sorte de cavité au centre.
- Des bûchers complexes – Ils peuvent aller jusqu’à 13 mètres de diamètre et comportaient plusieurs cavités.
On a retrouvé dans ces vestiges des os de chèvres et de moutons, ainsi que des fragments de poterie qui laissent entendre que le lieu accueillait offrandes et sacrifices rituels.

Les archéologues ont établi que le pin canarien était largement utilisé dans la liturgie et que les premiers habitants de l’île accordaient une importance toute particulière à « Canopo », ou « Canopus », deuxième étoile la plus brillante du ciel que l’on voit apparemment très bien depuis La Fortaleza à certaines périodes.
On sait depuis le 19e siècle et les travaux de Juan Bethencourt Alfonso que le lieu est une montagne sacrée, une interprétation confirmée par René Verneau, anthropologue français. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il continue à être étudié.
Dans les années 70, puis 90, on a par exemple fait de nouvelles découvertes, montrant que La Fortaleza de Chipude avait une occupation saisonnière, avec des constructions pastorales temporaires : des huttes, plus ou moins complexes, des bergeries, des maisons… La datation au carbone 14 a établi leur origine autour du 5e siècle après Jésus-Christ.
Il est donc probable que la montagne ait servi à la fois de pâturage temporaire (le climat était trop dur pour que La Fortaleza serve d’habitation permanente), de lieu sacré et symbolique et de refuge en cas de danger.
Elle symbolisait une sorte de point de rencontre entre le ciel et la terre… et les constructions circulaires un symbole du cycle éternel des événements. Il est probable aussi que la montagne ait joué un rôle très particulier en lien avec les solstices et les équinoxes, car elle permet de voir distinctement certaines constellations et certains alignements avec d’autres îles des Canaries.

On lui prête aussi différents rôles : celui d’avoir abrité maintes fois les habitants, qui s’y réfugiaient quand ils se sentaient menacés, protégés par la valeur rituelle du lieu et par sa configuration particulière.
On se sent très privilégié de pouvoir y accéder sans aucune protection d’aucune sorte (pas de surveillance, pas de barrières) car la plupart des lieux de ce genre sont aujourd’hui aménagés, ce qui leur fait perdre une part de leur authenticité.
On appelle parfois le lieu « La Fortaleza de Argodey » car certains pensent que la montagne est le lieu appelé « Argodey » dans la mythologie locale : un endroit où le roi Amaluige avait conduit ses ennemis pour venger la mort de son frère.

Nous finissons par redescendre de cette randonnée à la Fortaleza, en serpentant entre les figuiers de Barbarie. Petit conseil donné par les locaux : ne surtout pas chercher à les cueillir à la main car même en prenant des précautions, les fruits sont bourrés d’épines qui peuvent s’enfoncer très profondément sous la peau ! La cueillette s’effectue avec des gants de cuir.
Nous marchons tranquillement jusqu’au « centre-ville » de Chipude où c’est un vrai plaisir de pouvoir s’attabler avec une boisson fraîche sur la terrasse de l’hôtel-bar Sonia !
Randonnée à la Fortaleza : informations pratiques
Je vous conseille déjà d’emporter une bonne quantité d’eau (au moins 3 litres) si vous randonnez dans le secteur, en particulier s’il fait chaud, car c’est une randonnée très exposée au soleil. Crème solaire bien utile aussi !
C’est une zone assez sauvage donc mieux vaut avoir son pique-nique avec soi car vous n’allez pas trouver de cafés ou de restaurants pour vous restaurer à mi-parcours.

A l’aller, on peut rejoindre Alajero par les bus ligne 3 et 6, ou Igualero par la ligne 6 (plus proche du point de départ de ma propre rando). Au retour, on peut trouver des bus au départ de Chipude (lignes 1, 4, 6) ou rentrer en taxi (cherchez « Taxi Chipude » sur Google pour avoir le numéro de téléphone à jour ou demandez sur place dans un bar ou un restaurant). Les lignes de bus sont détaillées sur ce site.
Pour ma part, je suis partie de Valle Gran Rey vers 9h30 et rentrée vers 16h30.
Si vous parlez anglais, il y a plusieurs randonnées autour de La Fortaleza expliquées dans le guide Rother de La Gomera (malheureusement pas traduit en français à l’heure où j’écris).
Cette randonnée à la Fortaleza reste pour moi un très beau souvenir de La Gomera car elle reflète toute l’authenticité de l’île : le fait qu’on vous laisse accéder librement (et gratuitement) à des lieux qui ont une grande valeur symbolique, en vous faisant confiance pour en prendre soin. Le fait de marcher au milieu de la nature, de goûter au plaisir simple d’une boisson bien fraîche après une journée de marche…
Si cette île vous tente, n’hésitez pas à consulter mes autres articles et à regarder les hébergements disponibles grâce aux liens ci-dessous :
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