Aujourd’hui, je vous propose de visiter Yad Vashem en Israël, qui est probablement le plus grand musée sur la Shoah au monde. Yad Vashem, à Jérusalem, abrite une foule de témoignages, de documents mais aussi des espaces qui rendent hommage aux victimes et à ceux qui ont tenté de sauver des Juifs des griffes de l’Allemagne nazie.
Il était inconcevable pour moi de partir en Israël sans aller à Yad Vashem. J’y ai vécu une expérience très différente de ma visite du camp d’Auschwitz, par exemple, plus axée sur les témoignages et la compréhension des « faits » que sur l’immersion dans des lieux porteurs d’une histoire qui vous prend à la gorge.
Dans cet article, je vous propose de découvrir le musée de Yad Vashem et ses espaces extérieurs, à travers de nombreuses photos, bribes de récits et informations pratiques pour préparer votre propre visite sur place.
Conseils voyage
Qu’est-ce que Yad Vashem en Israël ?
Yad Vashem est un lieu pluriel. C’est à la fois un musée, un mémorial et des archives. Sa construction a été décidée dès 1953 par le Parlement israélien, soit 5 ans après la création de l’Etat d’Israël et 8 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Il a ouvert ses portes 4 ans plus tard, en 1957.
Le musée de Yad Vashem est consacré à la Shoah : il commémore la mémoire des victimes de la barbarie nazie, raconte la montée de l’antisémitisme à cette période et les camps de concentration, mais honore aussi les « Justes parmi les Nations », ces hommes et femmes qui, au péril de leur vie, ont sauvé des Juifs, à l’instar d’Oskar Schindler.
Yad Vashem abrite aussi un mémorial ou plutôt, plusieurs espaces de mémoire dédiés aux victimes des camps, aux enfants ou encore aux communautés juives détruites par la Shoah dans le monde entier.

Enfin, les archives de Yad Vashem constituent tout simplement la plus grande base de données du monde sur la Shoah. On estime leur volume à 180 millions de documents et plus de 20 000 témoignages de survivants. Yad Vashem abrite d’ailleurs l’École internationale d’études de la Shoah et 17 salles de classe pour accueillir des visiteurs du monde entier.
Visiter Yad Vashem est donc à la fois un moyen de s’instruire sur cette période de l’histoire, de rendre hommage aux victimes d’une manière différente de ce que l’on peut vivre dans le camp d’Auschwitz et d’approcher cette quantité infinie de témoignages, d’histoires, de photos, de documents qui vous font repartir plus riche et chargé de mille questions à la fois.
Comment aller à Yad Vashem ?
Le musée Yad Vashem se trouve à Jérusalem, en Israël. Il a été construit dans la forêt de Jérusalem, un décor très arboré donc, sur les flancs du mont Herzl que l’on appelle aussi le « Mont du souvenir » (Har Hazikaron).
Il est facile d’accès, que l’on soit véhiculé ou non, ce que j’ai beaucoup apprécié car ça me semble primordial qu’un lieu de mémoire soit à la portée du plus grand nombre.
Aller à Yad Vashem en voiture
L’accès à Yad Vashem est possible en voiture, une solution pratique si vous logez ailleurs qu’à Jérusalem. Depuis Tel Aviv par exemple, empruntez la route n°1 puis la route 386 jusqu’à voir des panneaux indiquant la direction du mont Herzl et de Yad Vashem.
Sur place, vous trouverez un parking souterrain payant à l’entrée du site de Yad Vashem (moins de 10 euros la journée). 8 places sont réservées aux personnes en situation de handicap et un ascenseur permet de rejoindre l’accueil facilement.
Aller à Yad Vashem par les transports
Si vous logez à Jérusalem ou que vous venez à Jérusalem en train depuis Tel Aviv, vous pouvez aller à Yad Vashem en transports en commun. En effet, l’endroit est très bien desservi.
Vous pouvez y aller en tramway, en descendant au terminus (arrêt Mont Herzl), ou rejoindre ce même arrêt par le bus (les lignes 10, 16, 20, 23, 24, 26, 26a, 27, 27a, 28, 28a, 29, 33, 25, 39, 150 s’y arrêtent, vous pouvez retrouver les horaires et tarifs sur le site d’Egged).
Une fois à l’arrêt, dirigez-vous vers l’arrière du tramway et prenez la grande route qui s’ouvre sur votre gauche, la rue Ha-Zikaron. Vous verrez des panneaux indiquant « Yad VaShem ». Continuez à marcher jusqu’à tomber sur un arrêt de bus qui indique « Shuttle to Yad Vashem ». C’est là que passe la navette gratuite qui permet d’aller facilement jusqu’au mémorial de Yad Vashem.

Vous pouvez télécharger les horaires de la navette ici. Elle s’arrête à sept endroits différents car le site est très étendu. L’entrée du musée se situe au niveau de l’arrêt « Entrance Plaza ».
Si vous tombez à un horaire où il n’y a pas de navette, vous pouvez aussi aller à pied jusqu’à l’entrée du mémorial. Sur ma photo de la navette gratuite vers Yad Vashem, le petit chemin se situe à droite derrière à la camionnette : il permet de rejoindre à pied l’entrée du mémorial en marchant au milieu des arbres.
Visiter Yad Vashem avec un guide
On peut visiter Yad Vashem de manière autonome en prenant un audioguide, disponible en français, pour quelques euros. On les demande au guichet situé à l’entrée du mémorial.
Vous pouvez également visiter Yad Vashem avec un guide, il faut réserver à l’avance. Renseignez-vous auprès de group.visit@yadvashem.org.il ou réservez en ligne directement sur le site de Yad Vashem en choisissant « Private Groups, Individuals and Official Delegations » puis « Private Guided Tour of the Holocaust History Museum ». Cette visite guidée dure 2 à 3h et se concentre sur le musée de Yad Vashem. Si vous voulez aussi visiter les extérieurs avec un guide, il faut réserver la visite baptisée « Private Guided Tour of the Yad Vashem Grounds ». Le français figure parmi les langues proposées.
Si vous passez peu de temps à Jérusalem, vous pouvez aussi réserver via une agence de voyage. Il existe par exemple cette visite de Jérusalem depuis Tel Aviv : vous irez voir le Mont des Oliviers et visiterez la vieille ville de Jérusalem avec un guide, puis l’après-midi vous passerez du temps à Yad Vashem (visite libre, avec ou sans audioguide).
Vous pouvez également réaliser la même visite au départ de Jérusalem.

Tarifs, horaires et entrée à Yad Vashem
Le musée de Yad Vashem est entièrement gratuit, seules les « options » sont payantes (parking, visite guidée, audioguide, vestiaire, etc). Les donations sont, comme à Auschwitz, les bienvenues, pour assurer la pérennité de cet espace de mémoire.
Si vous venez avec un sac à dos ou un « gros sac », vous devrez le laisser au vestiaire pour des raisons de sécurité. Je vous conseille de venir avec un vêtement chaud : lors de ma visite, la climatisation tournait à plein régime et la température dans le musée était glaciale.
Notez que le musée est interdit aux enfants de moins de 10 ans, y compris les bébés en poussette. La visite pouvant être choquante pour le jeune public, c’est le choix qui a été fait afin de les préserver. Les plus jeunes peuvent toutefois accéder aux extérieurs, une manière d’aborder « en douceur » cette période de l’histoire difficile pour les parents qui en font le choix.
Pour information, si vous venez en famille ou en groupe de 6 personnes ou plus, vous devez absolument vous enregistrer avant votre visite (via le site, menu « Private groups » dont je vous parlais plus haut).
Vous pouvez manger sur place, soit dans un self (repas chauds, viande), soit à la cafétéria qui est casher halavi.
Retenez pour finir que le musée d’histoire de la Shoah est ouvert du dimanche au jeudi de 9h à 16h. En Israël, le week-end correspond au vendredi et samedi en raison de Shabbat.

Yad Vashem : traduction et signification
Avant que nous ne rentrions dans le vif du sujet avec la visite de Yad Vashem, comme moi, vous vous êtes peut-être interrogé sur la signification de Yad Vashem, et sur la traduction de Yad Vashem en français.
Il s’agit d’un terme extrait de la Bible, et plus spécifiquement du Livre d’Isaïe, un livre de l’Ancien Testament dont on a d’ailleurs retrouvé une très ancienne copie près de la Mer Morte (je vous parlais des Manuscrits de la Mer Morte dans cet article).
Le livre d’Isaïe est scindé en trois parties qui retracent différentes époques de l’histoire d’Israël. Il évoque notamment l’exil à Babylone, c’est-à-dire la déportation des Juifs de Jérusalem à Babylone suite à la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor et ses armées, le Roi ayant ordonné la destruction du Temple de Jérusalem.
Le livre d’Isaïe aborde également le retour d’exil, lorsque les Juifs sont libérés grâce à la prise de Babylone par les Perses. L’empereur Cyrus II les charge alors de rentrer en Judée et de rebâtir le Temple. Un retour difficile, car on les traite comme des usurpateurs.
Revenons maintenant à la signification de Yad Vashem. Dans ce texte biblique, il est écrit « Je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un monument et un nom meilleurs que des fils et des filles. Je leur donnerai un nom Éternel, Qui ne périra pas ». La phrase fait référence aux eunuques, qui peuvent eux aussi connaître l’éternité aux côtés de Dieu même s’ils ne peuvent enfanter.
La traduction de Yad Vashem est justement « un monument et un nom ». Le terme est donc, comme vous pouvez le voir, chargé de plusieurs significations :
- Par le contexte auquel il est emprunté (le livre d’Isaïe), il tisse un lien subtil entre la déportation vécue par les Juifs lorsqu’ils ont été chassés, il y a de nombreux siècles, de Jérusalem, et la déportation vécue par des millions de Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale.
- Il établit l’importance de « laisser une trace » éternelle de ce qui s’est passé lors de la Shoah… et de redonner un nom à toutes les victimes qui n’ont plus de descendants pour le porter.
- Il porte aussi, selon mon interprétation très personnelle, un espoir. De la même manière que dans le livre d’Isaïe, les Juifs sont revenus s’établir à Jérusalem et ont reconstruit ce qui leur avait été arraché, Yad Vashem rappelle que l’on ne peut détruire un peuple même en anéantissant bon nombre de ses membres et en croyant faire disparaître ses symboles.
Visite du musée Yad Vashem à Jérusalem
Je vais maintenant vous faire visiter Yad Vashem. Je vous conseille de prendre un plan au guichet sur place, car le lieu est si vaste qu’on a vite fait de passer à côté de certaines choses !
La symbolique du bâtiment
Ce qui frappe d’abord en arrivant au musée Yad Vashem, c’est son architecture. Le musée de l’histoire de la Shoah prend la forme d’un prisme de 183 m de long, une structure triangulaire enterrée dans la montagne, couverte de vitres en son sommet qui en font une sorte d’épine dorsale en pleine forêt de Jérusalem.

Grâce aux fenêtres, la lumière pénètre dans les salles d’exposition situées en contrebas, apportant un éclairage naturel discret, qui ne gêne pas les visiteurs notamment dans les lieux où sont diffusées des vidéos. L’architecte Moshe Safdie, qui a conçu le bâtiment, a fait en sorte que l’on puisse ajuster la quantité de lumière entrant dans le bâtiment en fonction des besoins de chaque partie de l’exposition.
Ce qui frappe également sur place, c’est l’entrée relativement austère, dans des bâtiments en béton qui laissent présager de la dureté de ce que l’on va trouver à l’intérieur. On pénètre alors dans un espace de forme triangulaire (un choix destiné à permettre au bâtiment de supporter le poids de la terre, dans la mesure où il est construit en partie en souterrain).
Un tunnel central, ponctué de « fosses », nous guide dans un cheminement en zigzag à travers une multitude de salles, vers la lumière, tout au bout, où le bâtiment s’ouvre sur une vue dégagée sur le Jérusalem moderne, apportant une lueur d’espoir littéralement « au bout du tunnel ».
Le couloir central présente aussi la particularité de descendre en pente douce jusqu’au point le plus bas, au niveau duquel se trouvent les salles d’exposition consacrées aux camps de concentration, là encore une symbolique très forte. Le couloir remonte ensuite peu à peu vers la lumière.
Je vous parlerai un peu plus tard dans l’article d’un autre élément très symbolique : la « Salle des Noms » (Hall of Names) de Yad Vashem, qui rend hommage aux innombrables victimes de la Shoah.
Mais avant même de commencer votre visite de Yad Vashem, vous vous sentez déjà intrigué par ces choix architecturaux peu communs et lourds de sens.

Visite de Yad Vashem : la montée de l’antisémitisme
La visite du musée Yad Vashem débute par plusieurs salles qui expliquent la montée du nazisme, dans le contexte d’un antisémitisme latent issu notamment de la chrétienté. Il y a déjà beaucoup d’histoires touchantes, que ce soient des gens célèbres comme Einstein et Zweig qui ont pu s’enfuir à temps ou des anonymes, des parents qui ont sauvé la vie de leur enfant en le mettant dans un Kindertransport vers l’Angleterre.
Cette opération humanitaire, lancée 9 mois avant le début de la Seconde Guerre Mondiale, a permis de sauver près de 10 000 enfants – Juifs pour la plupart – en les plaçant dans des familles d’accueil et des fermes anglaises. Souvent, leurs parents eux-mêmes ne sont pas sortis vivants de la guerre.
C’est l’occasion de rappeler que la plupart des Juifs ne pouvaient pas partir, un sujet qui suscite souvent des questions quand on découvre l’histoire de la Shoah : pourquoi les gens n’ont-ils pas fui leur pays quand ils ont senti que leur liberté se restreignait peu à peu ? On vous expliquera ici que la plupart des pays étrangers avaient délibérément choisi de fermer leurs frontières (dans un pur esprit « on ne veut pas de problème »). La Chine a fait partie des rares pays à permettre un accès sans visa.
Le musée Yad Vashem vous raconte la spoliation des biens mais aussi la manière dont les droits des Juifs ont été progressivement réduits, comme un long étranglement. Ça m’a fait penser aux histoires de harcèlement moral ou de violence conjugale, où la mise en place de la situation est tellement insidieuse que l’on prend conscience de l’horreur seulement quand il est trop tard pour réagir, que les enjeux paraissent trop lourds et insurmontables.

Là, la situation est assez similaire : les Juifs ont commencé à comprendre qu’il se passait quelque chose d’anormal quand même les enfants et les personnes âgées se sont mises à recevoir l’ordre de se présenter pour « travailler ». La population a réalisé que si on les convoquait ainsi, ce n’était pas pour travailler mais pour mourir. Alors plus personne ne répondait aux ordres de se présenter et la police a commencé à arrêter les gens de nuit.
Certains ont pu se cacher, tout au long de la guerre, grâce à des dispositifs d’une ingéniosité remarquable : Fernando Pacifici, par exemple, avait fabriqué une table dans laquelle il pouvait se cacher et qui se verrouillait de l’intérieur. Mais tous n’ont pas pu faire de même.
Dans une vidéo, une femme se souvient que lorsqu’un enfant manquait à l’appel à l’école au petit matin, l’instituteur demandait s’il avait été emmené ou s’il était simplement malade. Elle raconte qu’un jour, au petit matin, les nazis ont frappé chez eux et sa mère l’a cachée avec sa sœur dans un placard avant d’aller ouvrir la porte. Les hommes lui ont annoncé qu’elle devait les suivre, elle a prétexté vouloir prendre son manteau avant de partir et, en ouvrant le placard une dernière fois, en a profité pour dire au revoir à ses filles. Elles ne l’ont jamais revue.
La création des ghettos
Le musée Yad Vashem vous raconte ensuite la création des ghettos, mentionnant différentes villes d’Europe et différents gouvernements dont la France de Vichy.
On découvre des objets fabriqués par les personnes emprisonnées dans les ghettos, par exemple d’énormes chaussures en paille pour tenter de supporter la neige lors du travail forcé. Les enfants, même jeunes, étaient eux aussi contraints à travailler. J’ai été marquée par ces phrases poétiques d’Abramel Koplowicz, que je vous traduis ici :
« Quand je serai grand et que j’aurai 20 ans, je voyagerai pour explorer ce monde d’abondance. Dans un oiseau à moteur je m’assoirai, décollerai et volerai dans l’espace, loin, très loin au-dessus du sol. Je volerai, volerai, m’élèverai encore dans le ciel, surplombant un monde si beau ».
Abramel Koplowicz n’a jamais eu 20 ans. Sa vie s’est achevée à Auschwitz à l’âge de 14 ans. Et l’on ne peut qu’espérer qu’il vole, vole si haut qu’il ne voit plus à quel point le monde n’a pas été si beau…
Le musée présente des ghettos comme celui de Varsovie, à travers la reconstitution d’une rue (Ulica Leszno). Certains miraculés, comme Zosia Zajczyk, ont pu fuir le ghetto : la petite fille en est sortie, portée dans un sac à charbon par son sauveteur. S’apercevant qu’elle avait oublié dans le ghetto sa poupée à laquelle elle tenait plus que tout, il a fait un second voyage, au péril de sa vie, pour rapporter la poupée.
La plupart devaient supporter la terrible réalité du ghetto : les rations fixées par les Allemands correspondaient à 184 calories par jour (pour vous donner une idée, un Big Mac au McDo correspond à 540 calories). Des soupes populaires clandestines étaient organisées par la Résistance mais ne suffisait malheureusement pas à empêcher la faim. À partir de 1941, on a constaté une accélération considérable des décès.


Il est question ensuite des ghettos de Kovno et Terezin. 7700 enfants et ados ont été envoyés à Terezin, où les adultes ont tout fait pour leur offrir une éducation exceptionnelle de manière clandestine, en espérant leur permettre ainsi d’être des espoirs pour le futur, le jour où la guerre serait terminée. 204 sont morts dans le ghetto, 6262 envoyés dans les camps dont ils ne sont pas revenus.
Parmi les images qui m’ont marquée, un « Monopoly du ghetto » imaginé pour les enfants par l’artiste Oswald Poeck, qui permettait de divertir les jeunes tout en leur racontant la vie du ghetto avec sa prison, sa cuisine, etc.
Des épisodes du quotidien prenaient parfois une tournure dramatique, comment on le découvre avec l’histoire d’un jeune garçon qui, lors de la déportation, s’est chamaillé avec sa sœur et a cassé la poupée à laquelle elle tenait tant. Ce petit frère, elle ne l’a jamais revu, il a été déporté à Auschwitz avec son père… et une banale dispute d’enfance a pris un sens très particulier.
Des ghettos à la « Solution Finale »
On découvre comment, peu à peu, la barbarie s’organise. Il est question du meurtre de 70 000 personnes à Ponary entre 1941 et 1944. Un homme raconte comment il a miraculeusement survécu aux côtés d’un autre adolescent, en s’enfouissant sous les morts.
Une femme, qui avait 7 ans au moment des faits, confie sa propre expérience dans un témoignage bouleversant. Il est projeté sur de petits écrans situés au bord d’une grande fosse, une mise en scène qui fait écho à ce qu’a vécu cette femme : il fallait se déshabiller, on l’avait laissée garder quelques vêtements puis on a demandé à son groupe de se positionner au bord d’une fosse commune qui était déjà presque pleine. Puis les soldats ont tiré, les corps tombaient directement dans la fosse. Le tir ne l’ayant pas atteinte, elle a pu remonter par la suite et s’en sortir vivante. Elle explique que les soldats manquaient beaucoup de gens et que l’on entendait les gémissements des blessés agonisant dans la fosse.
On découvre aussi la situation de la Roumanie, de la Pologne avec la liquidation des ghettos de Cracovie et de Varsovie, et le rôle de la pharmacie du ghetto de Cracovie.
On entre ensuite dans une partie dédiée aux camps eux-mêmes, comme Belzec, Sobibor et Treblinka. Les panneaux qui présentent cette salle ressemblent à ceux que l’on trouve sur les quais de gare. Un témoignage glaçant explique le fonctionnement des crématoriums. A Chelmno par exemple, on assassinait les gens sur la route même du crématorium : les déportés étaient entassés dans des camions et l’on connectait le tuyau d’échappement de manière à ce que les gaz toxiques se diffusent dans la zone où se trouvaient les déportés. Puis le camion prenait la route du crématorium tandis que les passagers mouraient d’une lente asphyxie à l’arrière.
Bien sûr, les gens emprisonnés dans les ghettos entendaient des rumeurs sur ce qui se passait. Internet n’existait pas à l’époque mais des bribes d’information circulaient néanmoins. Le musée Yad Vashem explique que « la plupart des résidents avaient du mal à assimiler les vagues informations qu’ils recevaient, principalement parce qu’elles reflétaient une réalité sans précédent ».
A posteriori, il est toujours beaucoup plus facile d’analyser des situations, de se questionner, de se demander pourquoi les gens n’ont pas fui… mais à l’époque, comment concevoir l’idée d’une extermination massive et systématique ?

Il est question du soulèvement du ghetto de Varsovie, avec beaucoup de résistants âgés de moins de 30 ans. Puis la salle évoque les déportations en Europe, montrant des objets saisis par les nazis avant de nous présenter le camp d’Auschwitz à travers des valises, des témoignages et des morceaux des pylônes qui soutenaient les barbelés. Une sculpture de Mieczyslaw Stobierki montre comment était organisé le crématorium de Birkenau tandis que, plus loin, des chaussures de déportés s’entassent sous un plancher de verre.
Yad Vashem est riche de ces terribles souvenirs : des vêtements de déportés sont aussi présents, tout comme les fouets et les matraques qui étaient utilisés pour les frapper. On nous explique tant le « fonctionnement » des latrines que le travail forcé, et son impact terrible sur les corps. « Quand nous ne nous voyons pas pendant quelques jours, nous nous reconnaissons à peine », écrit Primo Lévi. Des propos qui en disent long sur l’état des corps, mis à rude épreuve.
J’ai noté au cours de ma visite de Yad Vashem que le musée n’employait jamais le terme « ont été tués » ou « sont morts » en évoquant les déportés… mais toujours « ont été assassinés ». C’est un mot… mais un mot qui redonne aux victimes une place différente dans l’histoire.
La Résistance, aussi
On nous parle de Résistance, aussi. Une lueur d’espoir bienvenue au milieu d’une visite pesante. On comprend le rôle clé qu’elle a joué pour créer de faux papiers pour les Juifs, éduquer les jeunes, cacher les personnes en danger, apporter une aide médicale, financière, psychologique, de la nourriture ou encore des couvertures. Cette citation de Tavia Bielski semble résumer à la perfection les priorités : « Il est plus important de sauver des Juifs que de tuer des Allemands ».
C’est ici que l’on découvre l’histoire de nombreux « Justes parmi les Nations », un titre donné à des gens ordinaires qui ont sauvé des vies, au péril de la leur, en prenant des risques considérables. Le musée nous présente des meubles, dont on peut ouvrir les tiroirs pour découvrir chaque histoire.
On retrouve parmi elles des gens « connus », comme Oskar Schindler ou encore Raoul Wallenberg… mais aussi bon nombre de personnes moins médiatisées. Leur action est d’autant plus remarquable que, comme l’explique le mémorial de Yad Vashem, beaucoup de gens préféraient à l’époque fermer les yeux, à cause d’un mélange d’antisémitisme latent, de conformisme et surtout de l’atmosphère de peur provoquée par les nazis. En lisant ces histoires, on espère que l’on aurait fait partie de ceux qui aident plutôt que de ceux qui ferment la porte au nez des gens mais en réalité, difficile d’avoir des certitudes.
La défaite de l’Allemagne
Le vent tourne pour l’Allemagne… mais c’est un vent qui souffle encore un parfum d’horreur, puisque l’on évoque à présent les marches de la mort, ce moment où les Allemands ont poussé les déportés encore vivants à abandonner les camps pour reculer devant l’avancée des troupes alliées. De ces marches interminables dans la neige et le froid glacial, mettant à rude épreuve des êtres déjà au bout de leurs forces, il reste des traces : des restes de chaussures, mais surtout des histoires.
Comment certains mangeaient de la neige pour survivre, les ravages de la typhoïde, les tirs pour éliminer les plus faibles, les mauvais traitements…


Yad Vashem rappelle aussi que survivre à ces marches de la mort ne voulait pas dire « survivre » tout court. Ceux qui s’en sont sortis étaient en effet dans un état physique déplorable. Certains, comme Emmerich Rosenberg, se sont laissé mourir. Âgée de 32 ans, cette femme avait vu son petit garçon de 4 ans assassiné et son mari être déporté à Birkenau.
Les photos, comme les notes, sont bouleversantes : Fella Scheps, 25 ans, est ainsi décrite par les médecins en ces termes : « Elle ressemble à une femme de 75 ans. Elle est si faible qu’elle est incapable de bouger ou de prendre soin d’elle-même sous aucune forme ». La jeune femme est décédée le lendemain. La photo la montre émaciée, couchée sur un lit, le regard dans le vague… aux côtés d’un portrait d’elle avant la guerre, le visage rond.
Internée dans le camp de travail de Grünberg, Fella Scheps écrivait en 1943 dans son journal :
« Quel genre de personnes serons-nous après la guerre ? Des gens détachés… habitués à enjamber les corps, à jouer des coudes ? Ou deviendrons-nous des hypersensibles ? Nous permettra-t-on de vivre jusque là ? Et cela en vaudra-t-il la peine ? »
Les camps sont libérés par les Alliés… et l’on y découvre l’horreur, les corps décharnés, les innombrables morts. Beaucoup de visiteurs de Yad Vashem ne regardent qu’une infime partie des vidéos diffusées dans le musée, tant la charge émotionnelle est intense.
Après la guerre
On parle souvent de « victoire » quand une guerre est gagnée… mais je crois qu’en visitant un mémorial comme Yad Vashem, on comprend à quel point ce terme est loin de la réalité. A quel point il porte en lui une connotation excessivement positive, là où la réalité est encore un vaste drame.
La « victoire », ce sont des millions d’orphelins, qui ont appris à vivre sous de fausses identités et souffrent d’une perte majeure de confiance en eux. Ce sont des survivants qui peinent à remonter la pente, des réfugiés qui s’entassent dans d’autres types de camps, des gens qui n’ont qu’une envie : fuir le théâtre de la tragédie, notamment pour aller s’établir en Israël.
On nous montre une photo d’un mariage prise juste avant la guerre. 64 invités en 1937. 54 n’étaient plus en vie à la fin de la guerre.
On nous montre le témoignage d’une femme, qui a tenu à se marier rapidement après la guerre : elle a récupéré un bout de tissu blanc auprès d’une infirmière pour s’en faire un voile… et quand elle est tombée enceinte, elle ne supportait pas l’idée de donner naissance à un enfant dont les pleurs lui rappelleraient ceux des camps. Alors elle a tenté de pratiquer un avortement clandestin, mais le bébé s’est accroché. C’est seulement quand son fils est né qu’elle s’est sentie capable de l’accepter.
La Salle des Noms
La visite du musée Yad Vashem s’achève par l’une des pièces les plus marquantes : la Salle des Noms (« Hall Of Names »). Une pièce circulaire, où l’on pénètre sous un très grand dôme couvert de portraits. Tout autour de vous, des étagères où des classeurs s’entassent par dizaines. Ils abritent le nom de toutes les victimes connues de la Shoah.
En symétrique, sous vos pieds, un grand vide (le dôme qui se trouve au-dessus de vos têtes est « répliqué » à l’envers, s’enfonçant dans le sous-sol) rempli d’eau, où les visages se reflètent si l’on y plonge le regard et que la lumière est suffisante.
C’est à la fois l’écho de tous ces noms que l’on ne connaîtra jamais, parce que des lignées entières ont disparu sans laisser de descendance… et l’écho du rôle que nous pouvons jouer dans la préservation de leur mémoire.


En quittant ce musée d’histoire de la Shoah, on débouche sur une esplanade plantée d’oliviers, symbole de paix, d’espérance et d’immortalité. Je suis allée visiter la galerie d’art adjacente, abritant des œuvres sur la Shoah mais aussi des œuvres créées par d’anciens déportés, à qui le musée redonne une place. Oder Warsawski, Max Jacob, Georges Kars (qui s’est donné la mort en apprenant qu’il ne reverrait pas bon nombre d’amis et de proches après la guerre), André Blondel, Samy Briss, Maximilian Feuerring, Henri Epstein, Mordechai Allouche, Charlotte Salomon, Bruno Schulz et tant d’autres…
Je suis restée admirative devant une incroyable Bible illustrée de 99 images, créée à la main par Carol Deutsch pour les 2 ans de sa fille.
A travers cette galerie d’art, vous mesurez l’amour, le traumatisme, les séparations, toutes ces émotions violentes qui entourent la Shoah, que l’on en soit témoin ou victime.
Le mémorial de Yad Vashem : espaces extérieurs
Je vous le disais en début d’article, Yad Vashem est un lieu très vaste… et si vous en avez le temps, je vous conseille vivement d’aller explorer les espaces extérieurs du musée pour vous imprégner pleinement de l’atmosphère des lieux.

Le Hall Of Remembrance
Le « Hall of Remembrance », par exemple, est un gros cube austère posé au milieu d’une esplanade. Silence exigé, photos interdites. Vous laissez derrière vous la chaleur écrasante d’une journée à Jérusalem pour pénétrer dans la pénombre. Un lieu sans fenêtre, propice au recueillement loin de tout ce qui peut se passer dehors.
Une galerie en L vous permet de contourner un espace, en contrebas, avec une flamme du souvenir et le nom des camps de concentration écrit au sol, en relief.
Je croise un groupe de Français, qui parlent fort malgré la solennité du lieu. « Vite, on va faire le mémorial des enfants », s’exclame la dame. On est dans l’ère du « faire », où il faut cocher sur sa liste les « choses à voir », de préférence les plus marquantes possibles… et pas dans l’ère où l’on prend le temps de se laisser capturer par une émotion, un souvenir… Triste, a fortiori dans un endroit comme celui-là.
Le Mémorial des Enfants
Le parcours extérieur sent les pins chauds. Le fameux Mémorial des Enfants est stupéfiant de beauté et de délicatesse. Comme beaucoup de lieux à Yad Vashem, il a été financé par une famille touchée de plein fouet par la Shoah. C’est un court parcours dans la pénombre, que je vous recommande de faire en marchant lentement pour vous imprégner de la solennité du lieu.
On se sent désorienté… car le lieu est pensé comme un Palais des Glaces, une bougie se reflète à l’infini par le jeu des multiples miroirs qui entourent le parcours. Pendant que vous avancez, une voix lit le nom des enfants victimes de la Shoah, avec leur pays d’origine.
C’est terrible et sublime à la fois. Ils ne sont plus là et il n’y a rien de plus affreux… et en même temps, cet hommage est probablement le plus beau et le plus apaisant qui pouvait leur être rendu.

La Vallée des Communautés et autres mémoriaux
Le parcours de visite de Yad Vashem vous conduit près d’un monument aux morts, d’un mémorial aux soldats, d’un « Jardin des Justes », d’un arbre rendant hommage aux partisans ou encore d’un mémorial aux déportés, qui prend la forme d’un wagon à bestiaux sur un rail suspendu au-dessus du vide.

On va se perdre dans l’immensité de la Vallée des Communautés. 10 000 m² de blocs de pierre, 107 facettes qui portent le nom de toutes les communautés juives d’Europe décimées par la Shoah.

Là encore, ce lieu est construit en contrebas de la route d’accès, un encaissement qui favorise le sentiment d’être « protégé du monde », dans un espace abrité où l’on peut prendre le temps de se recueillir.


Un avis sur Yad Vashem
Si je devais vous donner un avis personnel sur Yad Vashem, je vous dirais que la grande valeur ajoutée de ce musée réside dans les témoignages, c’est un travail formidable (quoique glaçant) de recueil de récits, écrits ou filmés. Je n’ai pas forcément eu le sentiment « d’apprendre » beaucoup de nouvelles choses car ayant visité Auschwitz, le mémorial de la Shoah et d’autres musées spécialisés, j’ai déjà une vision assez précise de ce pan de l’histoire.
En revanche, j’ai aimé plus que tout le fait de mettre des émotions, des visages, des histoires sur cette période. Car derrière les chiffres de l’Histoire, il me paraît terriblement important de se souvenir, sans cesse, qu’il y avait des êtres humains, des liens familiaux, des rêves et tout ce qui fait la complexité d’un être humain.
Au fil des visites, on a le sentiment que les pièces du puzzle se mettent en place et que l’on enrichit à la fois sa compréhension des événements et sa conscience de l’énormité de ce qui s’est produit.
Je vous conseille vraiment d’aller visiter Yad Vashem si vous séjournez en Israël. Si vous avez peur d’être en danger dans le pays, n’hésitez pas à consulter mon article sur la sécurité en Israël.
Yad Vashem en quelques questions
Qu’est-ce que Yad Vashem en Israël ?
Yad Vashem est à la fois un musée consacré à la Shoah, un mémorial aux victimes, un hommage aux Justes parmi les Nations ayant sauvé des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale et des archives sur cette période de l’histoire.
Quelle est la signification de Yad Vashem ?
Yad Vashem signifie « le monument et le nom », une référence empruntée au livre d’Isaïe dans l’Ancien Testament de la Bible.
Où se trouve Yad Vashem ?
Yad Vashem se situe à Jérusalem, au milieu de la forêt de Jérusalem sur le mont Herzl.
Quel est le temps de visite à Yad Vashem ?
Visiter le musée d’histoire de la Shoah seul demande 2 à 3h. Prévoyez 2h de plus pour visiter les espaces extérieurs. Ce temps de visite peut être plus long si vous souhaitez approfondir votre découverte du lieu.
Quel est l’âge minimum pour visiter Yad Vashem ?
L’âge minimum pour entrer dans le musée Yad Vashem est 10 ans.
Hello ! Je suis en congé maternité jusqu'à l'été 2023. Pendant cette période, les commentaires sont fermés.
J’´ai regardé le document ce dimanche 29 janvier 22 sur antenne 2 avec beaucoup d’émotion.
J’ai 83 ans et ne pense pas pouvoir le visiter.
Je remercie ceux qui le font et surtout la guide principale qui a présenté le document avec beaucoup d’intelligence et d’une voix nette et précise.
Merci à tous ceux qui on fait en sorte de voir cette émission.
Bonjour, merci beaucoup pour le message, je n’ai pas vu ce reportage mais à en croire votre commentaire, il méritait d’être regardé !
Merci pour cette présentation de Yad Vashem à la fois bien documentée et personnelle. Bravo
Merci pour le commentaire Alain, c’était une visite très enrichissante !