Le Printemps Haussmann est un temple du shopping de 90 000m² qui trône au cœur de Paris, sur le boulevard Haussmann. Avec sa terrasse qui domine la capitale, sa coupole en vitrail, ses escaliers secrets dignes de ceux d’un théâtre, c’est à la fois un bel héritage de l’histoire parisienne et une véritable fourmilière !
J’ai pu en visiter les coulisses, l’occasion d’en apprendre davantage sur l’histoire des Grands Magasins de Paris. Dans cet article, je vais vous raconter tout ça et vous expliquer comment aller visiter le Printemps Haussmann à votre tour !

Le Printemps Haussmann, une superbe vue sur Paris
Nous commençons la visite au niveau de la superbe terrasse du Printemps… qui permet de comprendre la place singulière qu’occupe le Grand Magasin dans le paysage parisien.
Face à vous, l’Opéra Garnier…

L’Église de la Madeleine et ses colonnes corinthiennes, célèbre pour avoir accueilli les funérailles de nombreuses personnalités… depuis Chopin en 1849 jusqu’à Johnny Hallyday, bien plus récemment, en passant par Henri Salvador, Dalida, Joséphine Baker, Coco Chanel ou encore Edith Piaf pour ne citer que quelques noms…

La Tour Eiffel et la verrière du Grand Palais…

L’Église Saint-Augustin avec son grand dôme et, à l’arrière-plan, le quartier d’affaires de La Défense…

Le spectacle est au rendez-vous, l’occasion de commencer à découvrir l’histoire du Printemps Haussmann… une histoire passionnante qui permet aussi de comprendre tout un pan de l’histoire de Paris.
La grande histoire du shopping à Paris
Au 18e siècle, les magasins sont encore tous spécialisés : on va acheter son chapeau chez le chapelier, ses gants chez le gantier, son corset chez la corsetière… et ainsi de suite ! Le « shopping », qui ne s’appelle pas encore ainsi, est essentiellement une affaire de femmes et répond à certaines règles précises : on ne rentre dans un magasin que si l’on a l’intention d’acheter… et les prix sont fixés librement, en fonction du cours des matières premières, de la demande, etc.
Evidemment, ce fonctionnement est élitiste : vous entrez dans un magasin avec une obligation d’achat et sans même savoir combien vous allez devoir payer… alors vous imaginez bien que l’activité est réservée aux gens aisés.
Au Moyen-Âge, le commerce s’était structuré ainsi, avec cette hyper-spécialisation dont on retrouve la trace dans beaucoup de villes médiévales qui possédaient des rues dédiées à une profession précise (les bouchers, les tanneurs, etc).
Capturer les clientes
Petit à petit, on prend conscience de l’intérêt d’avoir une clientèle « captive », d’autant que l’on ne va pas arpenter les boutiques simplement pour acheter, mais aussi pour se montrer, faire des rencontres.
Aujourd’hui, on parlerait de « réseautage » et très clairement, à l’époque, faire les magasins était un moyen de se tenir au courant de toutes les informations importantes, d’asseoir son influence, de faire connaissance avec de nouvelles personnes.
On commence ainsi à créer des « magasins de nouveautés » à partir de 1784. Le concept est simple : présenter en un même lieu les nouveautés à ne pas rater. Parmi les plus célèbres figure « Les Deux Magots », devenu depuis un café littéraire réputé.

Pendant la première moitié du 19e siècle, on construit aussi à Paris des passages couverts pour que les dames puissent passer d’un magasin à l’autre sans subir la pluie. Le concept de regrouper des boutiques très différentes au sein d’un même espace séduit énormément.
Au Bon Marché
Ces différentes étapes créent un terreau fertile propice à la naissance du premier Grand magasin parisien : Au Bon Marché. Lorsqu’il voit le jour en 1838, le concept est déjà assez innovant. Imaginez un magasin de 300 m² avec 12 employés qui, pour la première fois ou presque, vend au même endroit aussi bien du linge de maison que des matelas, des parapluies et de la mercerie (boutons, rubans, etc) !
En 1852, les deux frères à l’origine du magasin s’associent à un couple, les Boucicaut, qui en font un concept révolutionnaire : ils étendent considérablement la surface du magasin et l’assortiment… Pour la première fois, le prix est fixe et affiché… et l’on peut même se faire rembourser les articles qui ne conviennent pas ! C’est tellement révolutionnaire que les deux frères ayant créé le magasin revendent leurs parts aux Boucicaut, un peu affolés par le projet.
Ca coïncide aussi avec une période où Paris ne cesse de se développer, les chemins de fer amènent beaucoup de monde dans la capitale donc le commerce devient un vrai enjeu, on crée de vastes vitrines pour donner envie d’entrer dans les magasins, les prix sont de plus en plus annoncés en toute transparence et une forme de « marketing » précoce se développe.

On fait de la publicité dans les journaux, on crée des salles de lecture dédiées aux maris afin qu’ils s’occupent pendant que leurs femmes font du shopping, on conçoit des catalogues pour faire de la vente par correspondance. Boucicaut a mille idées innovantes à la seconde : il séduit les enfants par des activités dédiées, il développe la standardisation des tailles de vêtements qui remplace peu à peu le « sur mesure » en vigueur à l’époque…
Il décide aussi de faire travailler des femmes et plus seulement des vendeurs masculins. En effet, à l’époque, beaucoup de dames étaient réticentes à l’idée de se faire aider dans leurs achats de mode par un homme, c’était mal vu dans la société. On embauche donc des femmes, que l’on loge au-dessus du magasin. On crée même un palace, le Lutetia, pour loger les clientes du Grand magasin parisien.
Le succès est immédiat : de 500000 francs de chiffre d’affaires en 1852, Au Bon Marché passe à 5 millions en 1860, 20 millions en 1870, 72 millions en 1877… Le magasin étend sa surface au fil des années, avec le concours de Gustave Eiffel (oui, le même Eiffel que la Tour !).
Jules Jaluzot, un enfant du magasin Au Bon Marché
Parmi les employés du Bon Marché figure un homme qui va nous intéresser tout particulièrement : Jules Jaluzot. Fils de notaire, il a refusé d’embrasser la carrière militaire, préférant se diriger vers le commerce. Après avoir fait ses armes dans plusieurs boutiques, il entre au Bon Marché… et a le coup de cœur pour une cliente fidèle du magasin, Augustine Figeac, sociétaire de la Comédie Française.
Elle est riche… si bien qu’après leur mariage, la dot de la mariée permet à Jules Jaluzot de se retrouver à la tête d’une confortable fortune, le coup de pouce idéal pour créer son propre projet. Jules Jaluzot a 31 ans… et il décide d’ouvrir Au Printemps en 1865.

Le choix de l’emplacement est un pari sur l’avenir… Le quartier est peu développé à l’époque et se situe en plus près de la gare Saint-Lazare : les quartiers des gares n’ont pas bonne réputation, on leur reproche d’être mal famés. Mais Jules Jaluzot est convaincu que Paris va se développer et que cette situation peu enviable va au contraire très vite devenir un atout. Bonne pioche !
On retrouve au Printemps des « recettes » qui ont fonctionné au Bon Marché : des employées féminines pour mettre les dames à l’aise, que l’on loge au-dessus du magasin (qui occupe à l’époque le rez-de-chaussée et le premier étage), et des employés masculins, qui dorment… dans les rayons ! On dissimulait des matelas et une fois les clients partis, un dortoir s’organisait entre les marchandises.

A l’époque, la plupart des Grands Magasins parisiens qui voyaient le jour prenaient le nom d’un lieu ou un nom descriptif de leur stratégie commerciale : Au Bon Marché, parce que les prix étaient plus bas qu’ailleurs ; la Samaritaine, du nom d’une pompe à eau située à proximité ; la Belle Jardinière, installée initialement sur le « quai aux Fleurs ».
Le Printemps doit son nom à une promesse : il évoque la fraîcheur, le renouveau, la légèreté dans ce qu’elle a de plus positif (« Au Printemps », dit le slogan, « tout y est nouveau, frais et joli »). Si vous avez l’œil, vous verrez d’ailleurs de subtiles références à cette saison dans l’architecture du bâtiment, par exemple à travers les 4 sculptures de femmes sur la façade côté rue du Havre : créées par Henri Chapu elles représentent les 4 saisons…

Le Printemps, Grand magasin de Paris entre innovation et tradition
Si Jules Jaluzot n’ouvre pas le premier Grand magasin parisien, il innove néanmoins à certains égards : il équipe très tôt son magasin d’ascenseurs ; les prix sont fixes et surtout, à chaque fois que les nouvelles collections sortent, il organise une vente des stocks restants à prix réduits. Les soldes sont nés ! Il imagine des espaces qui mettent en avant tant les marchandises que les clients.


Dès la création du magasin s’installe aussi une tradition dont je vous parle chaque année sur le blog : celle des vitrines de Noël du Printemps, qui attirent les clients comme les enfants.
En 1883, pourtant, un événement faillit mettre un coup d’arrêt à la belle histoire puisque le Printemps prend feu : à l’époque, on s’éclaire encore avec des becs de gaz et un employé du magasin faisant le ménage en laisse malencontreusement un trop près d’un rideau, qui s’enflamme. Tout va très vite, les pompiers ne peuvent rien faire face à l’étendue du sinistre et très vite, l’incendie provoque l’effondrement d’une grande partie du Printemps Haussmann.
Loin de se laisser abattre, Jules Jaluzot profite de l’occasion pour lancer une sorte de souscription populaire auprès de ses clientes les plus fidèles. Les dons affluent, tant et si bien qu’en deux ans, il reconstruit entièrement le magasin : plus beau, plus spectaculaire, équipé de la dernière nouveauté en date, l’électricité, qui fait voir les produits sous un nouveau jour.
On installe des dorures (qui font ressortir le magasin même en basse lumière, à une époque où les villes ne sont pas encore éclairées comme aujourd’hui) et des girouettes en forme de caducée, symbole du commerce et de la prospérité.

Jules Jaluzot fait appel à des artistes pour concevoir l’architecture du magasin et au fil des décennies, le Printemps ne cesse d’étendre sa surface de vente et de se moderniser. Héritage de l’époque où le magasin était un lieu de rencontre autant que de shopping : ce grand escalier revêtu de rouge, qui rappelle ceux des théâtres…

On crée une grande rotonde en vitrail et, comme nous l’a expliqué notre guide lors de la visite des coulisses du Printemps Haussmann, plus aucun artisan en France ne maîtrise la technique de verrerie spécifique utilisée pour créer cette gigantesque verrière.

Elle est protégée de l’extérieur par une « surcouche » qui la maintient à une température quasi-constante… et vous pouvez aller boire un verre ou déjeuner dans la Brasserie Printemps, située sous la coupole.

Au-delà de la large sélection de marques disponibles au Printemps, chaque espace est l’occasion de découvrir des curiosités architecturales : l’emploi du verre dichroïque, par exemple, capable de séparer la lumière en différents faisceaux colorés. Il est utilisé en façade mais aussi sur des créations comme la grande voile qui décore l’intérieur du magasin.

Notre visite nous conduit brièvement dans les sous-sols du magasin, une gigantesque fourmilière de 90 000 m² où, bien avant l’heure où les premiers clients entrent dans le Printemps Haussmann, des artisans travaillent en coulisses pour entretenir et réparer les lieux. Nous visitons ainsi un atelier de verrerie/serrurerie, infime partie de tous les ateliers et locaux techniques situés dans les souterrains.
On découvre aussi un espace entier dédié au recyclage, des dédales de couloirs où les employés bénéficient d’horaires aménagés car ils ne voient pas la lumière du jour pendant leur temps de travail.

Parfois, on hume dans l’air souterrain un léger parfum d’humidité… lié à la présence d’une rivière souterraine, la Grange-Batelière. Au Moyen-Âge, il y avait en bord de Seine une grande ferme, la ferme de la Grange-Batelière. A côté passait un ruisseau, le ruisseau de Ménilmontant, alimenté par les eaux en provenance de Montmartre, Belleville, Ménilmontant ou encore le Pré-Saint-Gervais.
Les égouts de la rive droite de Paris s’y sont déversés à une époque, avant la création d’un véritable égout souterrain au niveau de la rue de Provence, à proximité du Printemps Haussmann.
C’est la facette moins glamour mais insolite de ce magasin qui, par son histoire et son emplacement, fait partie intégrante de la vie parisienne !
Si vous avez la curiosité d’en savoir encore plus, je vous conseille de réserver cette visite guidée ou, à défaut, d’aller visiter les parties publiques du Grand magasin parisien par vous-même. Il est facile d’accès en métro (Havre-Caumartin – lignes 3 et 9) ou en RER (Auber, ligne A).
J’ai aimé cette expérience, avec une guide souriante et passionnée, qui permet de découvrir un lieu pourtant familier sous un jour différent, en prêtant attention à des détails que l’on n’aurait pas forcément remarqués soi-même !
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