Je vous expliquais il y a peu de temps que j’étais partie en vacances à Nuremberg en Allemagne. Difficile de vous parler de la ville sans commencer par évoquer les procès de Nuremberg… car ce qui s’est passé au Palais de Justice est souvent la seule chose que les gens connaissent à propos de l’endroit. La ville le sait et a donc créé un véritable musée à l’intérieur même du Palais de Justice de Nuremberg.
Quand j’étais au lycée, j’étais profondément allergique aux cours d’histoire malgré mes bonnes notes dans cette matière car je détestais apprendre des successions de dates qu’on nous débitait souvent d’une manière trop « mécanique » et pas du tout humaine… alors je vais vous épargner un cours d’histoire sur le procès de Nuremberg lui-même, il y a Wikipédia pour ça ;) Je vais surtout vous raconter ce que l’on peut voir aujourd’hui dans ce musée et en quoi la ville est étroitement liée à ces procès…

Pourquoi les procès ont-ils eu lieu au Palais de Justice de Nuremberg ?
Après la Seconde Guerre Mondiale, un certain nombre de cadres du parti nazi ont été arrêtés et traduits devant la justice en 1945-1946 au cours d’un procès d’une ampleur totalement inédite. Ce procès a été suivi de nombreux procès annexes.
La ville de Nuremberg a été choisie pour des raisons à la fois pratiques et symboliques.
- Le Palais de Justice de Nuremberg était suffisamment vaste pour accueillir ce genre de procès… et il pouvait, moyennant quelques travaux, être remis en état après la guerre dans un délai raisonnable.
- Il existe une prison elle aussi très vaste au sein même du Palais de Justice, ce qui évitait de déplacer les détenus sur de longues distances et simplifiait donc la logistique du procès.
- Nuremberg était l’une des villes préférées d’Hitler, qui y organisait chaque année les congrès du parti nazi et y avait fait promulguer des lois antisémites (les Lois de Nuremberg). Juger les dirigeants nazis à Nuremberg était donc un symbole fort pour signifier la fin du régime et de tout ce qu’il représentait.
- Compte-tenu du rôle important de Nuremberg aux yeux du parti nazi, la ville avait été particulièrement bien équipée pour recevoir des visiteurs, que ce soit en termes de transports et en termes de capacité d’accueil : le Grand Hotel, par exemple, tenait encore debout et pouvait donc héberger le personnel qui allait participer au procès ainsi que la presse internationale.
Quand on arrive aux abords du Palais de Justice sur Fürther Straße, on constate effectivement très vite à quel point le bâtiment est grand.

À l’extérieur, la symbolique est forte car on peut voir sur des panneaux les drapeaux des 4 grandes puissances qui ont mis sur pied ces procès hors norme : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’URSS et la France.

Je vous le disais dans mon premier article sur la ville, Nuremberg n’est pas très touristique et quand je suis arrivée devant le Palais de Justice, il n’y avait pas une seule personne à la ronde. On se retrouve face à cette entrée qui ressemble vraiment à l’entrée d’un tribunal (bon, à vrai dire, c’est le cas)… et on se demande si on a bien le droit d’être là ou pas.

Une impression qui s’accentue quand vous entrez dans la petite cour et que vous vous retrouvez devant une porte massive sans aucune indication à part « Schwurgericht » (« Cour d’assises »). Faut-il pousser la porte ?

Oui, il faut oser. Vous arrivez dans une petite entrée un peu obscure où vous pouvez acheter votre billet pour le musée et récupérer un audio guide que je vous conseille de prendre.
La salle d’audience n°600
L’entrée en matière n’est pas progressive du tout. Pour accéder au musée, il faut monter 2 étages et par définition, ça signifie que vous passez par le premier étage (admirez ma logique implacable). C’est justement au premier étage que se trouve la salle d’audience n°600 où se sont déroulés les procès de Nuremberg. Une sacrée entrée en matière qui fait quand même un drôle d’effet…
Il faut savoir que ce tribunal est encore en activité et que cette salle d’audience est donc encore utilisée (pour juger des affaires de meurtre notamment). Par conséquent, elle est parfois fermée aux visiteurs lorsqu’il y a un procès en cours ou que la salle est utilisée pour un événement judiciaire (colloque, etc).
Le tribunal ne communique pas à l’avance sur le sujet et c’est pour cette raison que j’avais décidé de me rendre au Palais de Justice de Nuremberg dès mon arrivée sur place, afin de me donner un maximum de chances d’y accéder. Un choix judicieux car ce jour là, la salle d’audience n°600 accueillait justement un colloque. J’ai pu y entrer et prendre quelques photos pendant que les organisateurs installaient leur PowerPoint…

Pour quiconque s’intéresse à la Seconde Guerre Mondiale, cette salle reste extrêmement reconnaissable même si elle est organisée d’une manière un peu différente de l’époque. On reconnaît très bien, par exemple, les murs recouverts de bois, le marbre entourant une porte située sur le côté gauche de la salle…

Et regardez la salle aujourd’hui.

Les énormes projecteurs installés au plafond à l’époque ont été remplacés par de vrais lustres. C’était à l’époque la première fois qu’un procès était filmé et les éclairages avaient donc été pensés en conséquence lors de la rénovation du tribunal avant le procès. La salle d’audience 600 paraît beaucoup plus grande sur les photos d’époque qu’elle ne l’est réellement :

Et aujourd’hui…

C’est aussi pour ça que l’on a ces images incongrues de certains accusés avec des lunettes de soleil, un accessoire décalé compte tenu du contexte… Ils avaient été autorisés à porter des lunettes justement parce que les éclairages étaient éblouissants.

Au premier rang de gauche à droite, on voit Göring (lunettes de soleil, accoudé au box des accusés), commandant de la Luftwaffe ; Rudolf Hess (chef de la chancellerie du parti nazi) ; Joachim von Ribbentrop (ministre des Affaires Etrangères d’Hitler) ; Wilhelm Keitel (chef de l’Oberkommando, organe suprême de contrôle de l’armée allemande) ; Ernst Kaltenbrunner (l’un des principaux responsables de la police nazie).
Et au second rang, Karl Dönitz (lunettes de soleil, Hitler l’avait désigné comme son successeur dans son testament) ; Erich Raeder (commandant de la Marine allemande) ; Baldur von Schirach (lunettes de soleil aussi, chef des Jeunesses Hitlériennes) ; Fritz Sauckel (qui a organisé les déportations d’ouvriers étrangers vers l’Allemagne).
Commencer par cette salle d’audience est assez déroutant. Quand on est dans un musée, il est plus facile de prendre de la distance car les choses sont expliquées et commentées. La salle d’audience, à l’inverse, est encore utilisée aujourd’hui donc vous avez vraiment l’impression de plonger dans la « réalité » de l’époque… C’est très fort et très étrange à la fois.
Le musée du Palais de Justice de Nuremberg (Memorium Nürnberger Prozesse)
C’est au 2e étage que l’on peut découvrir le musée lui-même. Il est assez court à visiter (1h30 maximum) et s’intéresse surtout aux spécificités de ce procès hors norme. Si vous aimez le droit (c’est mon cas !), vous trouverez sûrement cette visite captivante car on vous explique en quoi les procès de Nuremberg échappaient complètement à tout ce que la justice avait pu faire et voir auparavant.
Le procès sortait de l’ordinaire par la gravité des crimes jugés mais c’était aussi le premier procès international d’une telle ampleur, réunissant des procureurs et des juges de plusieurs pays.
C’était la première fois qu’il y avait une pièce à conviction vidéo lors d’un procès (le film « Nazi concentration camps » de John Ford), la première fois qu’un procès était filmé, la première fois qu’il fallait confronter des juges répondant à des droits différents (le droit français, par exemple, ne reconnaissait pas la notion de « complot » qui existe en droit anglo-saxon). C’était aussi la première fois que l’on traduisait les débats en simultané, le but étant d’éviter que les accusés aient trop de temps pour réfléchir à leur ligne de défense quand une question se présentait…
Le musée vous explique toutes ces spécificités et, chose intéressante, ne vous dit pas que c’était un « procès exemplaire »… On ne cache pas qu’il y a eu des imperfections, qui semblent presque inévitables compte tenu de la pression entourant le procès, de sa nature hors norme, du contexte de l’époque…
C’est expliqué de manière très pédagogique, avec par exemple des marquages au sol pour visualiser l’emplacement de chaque partie dans la salle d’audience… complétés par des panneaux qui expliquent le rôle de chacun.

Ou encore une maquette de la salle d’audience telle qu’elle était à l’époque. Cette maquette est placée juste à côté de deux ouvertures vitrées qui donnent sur la salle d’audience 600 actuelle. Ça vous permet non seulement de bien visualiser l’organisation de la salle mais aussi de découvrir la vraie salle d’audience si jamais vous ne pouvez pas y entrer lors de votre visite.

On peut aussi voir deux bancs utilisés par les accusés, avec des vidéos du procès.

On voit aussi les photos de tous les corps des condamnés à mort, immortalisés la corde au cou après leur pendaison. Image particulièrement forte, vous vous en doutez.
Replongeons dans le contexte : nous sommes le 1er octobre 1946, le tribunal vient de marquer une pause pour le déjeuner et l’audience reprend pour l’annonce du verdict. 24 accusés ont été jugés. 12 sont condamnés à mort (Göring se suicidera au cyanure juste avant la pendaison et un autre condamné par contumace, Martin Bormann, était en fait déjà mort au moment de sa condamnation).
Quinze jours plus tard, on vient les chercher après la tombée de la nuit. Suite à leur pendaison dans un gymnase situé dans l’enceinte du Palais de Justice et aujourd’hui détruit, tous ont tous été photographiés, une sorte de témoignage macabre mais terriblement puissant de la destruction de ces symboles du régime nazi.
Par une fenêtre du musée, vous pourrez voir ce qu’il reste de la prison où ils ont été détenus avant le verdict. Voilà d’abord une photo de l’époque qui montre la taille impressionnante de ce complexe judiciaire…

Et l’aile de la « prison en étoile » qui subsiste aujourd’hui…

Visiter le Palais de Justice de Nuremberg (Justizpalast)
A un moment donné, je me trouvais dans l’une des salles du musée quand soudain, un troupeau est entré avec son guide. 10 minutes chrono d’explications plus tard, ils sont repartis au pas de course. Voilà comment certains touristes découvrent les lieux…
Évidemment, c’est le genre d’endroit que je vous conseille d’aller visiter à votre propre rythme. Comme tous les lieux ayant une histoire très chargée, chacun peut avoir besoin d’un temps différent pour assimiler ce qu’il voit et comprendre ce qu’il peut. C’est vrai aussi pour la salle d’audience et le musée du Justizpalast de Nuremberg. Dans la mesure où il y a des audioguides en français, vous pouvez très facilement vous passer d’un guide et éviter la visite au pas de course.
Le Palais de Justice de Nuremberg est ouvert tous les jours sauf le mardi et certains jours fériés (liste complète sur le site du Memorium), de 10h à 18h (ou de 9h à 18h certains jours). Le dernier accès s’effectue une heure avant la fermeture.
L’entrée inclut l’audioguide (voir le prix des billets à jour ici). Si vous visitez d’autres musées le même jour, je vous conseille de payer un supplément de quelques euros. Il vous permettra d’entrer gratuitement dans tous les autres musées municipaux le même jour.
Côté accès, l’entrée du mémorial des procès de Nuremberg se situe à 5 minutes à pied du métro Bärenschanze (ligne U1), au 72 Bärenschanzstraße.
Vous l’aurez compris, c’est une visite à la fois glaçante et très riche en informations… et difficile de passer par Nuremberg sans chercher à comprendre un minimum ce moment marquant de l’histoire…
Si vous voulez en savoir plus sur la ville (qui a aussi des côtés beaucoup moins sombres, je vous rassure), je vous conseille la lecture de mon article Que faire à Nuremberg !
Hello ! Je suis en congé maternité jusqu'à l'été 2023. Pendant cette période, les commentaires sont fermés.
Je cherchais des infos sur Nuremberg et le lieu du Procès et vous me les avez super bien données ! Merci. Bonne chance pour la suite.
Merci beaucoup Sylvain !
Bonjour Marlène,
Excellent article sur un lieu historique peu connu même des Allemands. J’ai personnellement étudié à Nuremberg et j’avoue ne jamais être allé au Tribunal. C’est donc une découverte intéressante à travers cet article. Merci pour les conseils
Ça confirme ce que me disait un Allemand dans l’avion quand je suis revenue de Nuremberg (« Nous on ne pense pas à y aller ») :)
J’ai discuté récemment avec quelqu’un qui a pu entrer dans ce qui reste de la prison en étoile à l’occasion d’un tournage (il était avec le fils de Hans Frank, Niklas, qui s’implique beaucoup dans la mémoire de la Shoah et dans la condamnation active des crimes de son père). Il m’a dit que c’était une expérience encore plus forte que le tribunal et je veux bien le croire…
Pour l’amateur d’histoire que je suis, voilà un article qui m’a bien intéressé. La salle du procès au travers de tes photos semble, en effet, bien plus petite que celle que j’avais gardé en mémoire après avoir vu des photos et des films du procès. Merci pour cette visite insolite : elle me fait penser à celle que j’avais faite à Budapest du Musée de la Terreur.
Ça doit être une expérience bien glaçante aussi, dans un genre différent. Pour en revenir à la salle d’audience, c’est vrai que la taille m’a surprise. Je n’ai pas pu la photographier comme je le voulais car j’ai fait attention à ne pas photographier les personnes présentes… L’aménagement ayant été complètement modifié depuis le procès de Nuremberg, je pense que ça joue beaucoup !
Merci pour cet article si complet. Je planifie une visite à Nuremberg, et trouver des infos est assez difficile. Ce n’est pas une destination qui fait rêver les gens et c’est assez dommage. C’est endroit est chargé d’une partie de l’histoire tellement importante …
J’ai adoré cette ville, si je n’avais pas déjà prévu des voyages en décembre j’y retournerais dès cette année pour le marché de Noël. Je pense que les gens n’en rêvent pas parce qu’ils ne connaissent pas Nuremberg au présent… et le passé de la ville est lourd. D’ailleurs, même quand on s’intéresse à de « banals » monuments il y a parfois derrière une histoire très compliquée.
Beaucoup de gens privilégient la « légèreté » pendant les vacances. Il se trouve que je pars en Pologne prochainement, un pays lui aussi tragiquement marqué par le nazisme… et quand mon entourage (pro comme perso) apprend que je vais à Auschwitz ou même à Cracovie, les réactions montrent bien que ça ne correspond pas à la conception que la plupart des gens ont des « vacances ».